Turnstile – Glow On

Publié par le 12 octobre 2021 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Roadrunner, 27 août 2021)

Il faut le voir pour le croire (et sans doute le vivre pour mieux l’écrire) : un concert de Turnstile ressemble à une expérience en soi. Une lutte permanente au milieu de corps qui se percutent, des litres de sueur qui giclent, une scène transformée en champ de bataille, un groupe distingué tant bien que mal au milieu du public en fusion, un moment hors du temps, une parenthèse euphorique et hystérique. Le cul sur notre canap’, on a les yeux qui pétillent et les muscles qui frétillent. L’envie d’en découdre, de se confronter à ce chaos permanent, une manière de se mesurer au temps qui passe et répondre à la question qui fâche : sommes-nous trop vieux pour ces conneries ? La première écoute de Glow On nous donne envie de répondre par la négative, en hurlant, arrachant son t-shirt et exécutant un kickflip sur notre bon vieux skate adoré.

Quel intérêt d’arriver après la bataille et chroniquer un disque si attendu un mois et demi après sa sortie alors que vous avez largement eu le temps de vous forger votre propre opinion à son sujet ? Il semble justement assez pertinent de le juger avec un peu plus de recul que ce que nous faisons habituellement tant il est légitime de se demander si l’enthousiasme face à un album aussi In your face et rafraichissant n’est pas voué à s’estomper. La solidité d’un disque de hardcore, si jubilatoire soit-il (et Glow On l’est, pas qu’un peu), se mesure également à sa durée de vie. Le quintette de Baltimore le sait pertinemment et, force est de constater que son tonitruant prédécesseur Time and Space rit du temps qui passe. Et pourtant, il n’inventait pas la poudre mais se réinventait quelque peu et filait les frissons aux vieux fans de Suicidal Tendencies, Snapcase et Rage Against The Machine, qui avaient remisé leurs bandanas, étaient devenus matures (pensaient-ils) et ne s’intéressaient plus à ces musiques d’ados décérébrés. Car oui, c’est un des tours de force réalisé par Turnstile : il parvient à concilier les amateurs du genre qui bouffent du hardcore/fusion tous les jours et un public plus mainstream qui, jamais ne se serait intéressé à eux s’ils étaient restés dans une sphère confidentielle. Une confidentialité qu’ils n’ont jamais connu puisque la hype les suit depuis leur premier album Nonstop Feeling en 2016.

Attendu au tournant, Glow On l’était. Il fallait donc oser. Plutôt que de se contenter de nous ensevelir sous des riffs éléphantesques (ce qu’il fait, et pas qu’un peu) et nous scander des refrains taillés sur mesure pour vous squatter le cervelet des mois durant (ce qu’il aurait tort de cesser de faire), l’album se montre plus audacieux dans l’approche, dans ses choix de production parfois étonnants, plus varié également. Et ce dès les premières secondes avec ces synthés qu’on croirait issues d’un jeu de Nintendo 8-bit. Totalement ancré dans son temps, avec les travers que cela peut laisser supposer, Turnstile propose désormais une musique hybride totalement décomplexée, injectant dans son hardcore du breakbeat, des claps, du piano, des boites à rythmes, des sonorités hip hop/rnb modernes, des effets multiples sur la voix, des basses funky, des touches d’électronique, des bribes indie rock (« Underwater Boi » et « New Heart Design » qui peuvent déboussoler), des sensibleries (« Alien Love Call » en mode ballade aquatique, frôlant le mielleux avec Devonté Hynes de Blood Orange, mais étonnamment efficace)… Toutefois, les racines, précieuses, immuables, ne sont jamais oubliées : du riff partout, tout le temps, des cris, soudains, jubilatoires, de propos très profonds « NOW IT’S A HOLIDAY (…) I WANNA CELEBRATE ». Il faudrait vraiment être un vieux con pour rester de marbre face à ces assauts constamment renouvelés et oser regarder l’affaire avec dédain malgré l’étalage d’idées présentées (car c’est bien d’étalage dont il s’agit parfois, ne jouons pas les faux naïfs).

On n’échappe pas toujours aux refrains un peu gentillets (pour « Endless », on se contentera d’un « yeah yeah yeah yeah », parce que pourquoi pas). Mais une fois qu’on a dit ça, on peut s’incliner. C’est puéril, c’est jouissif, on s’en fout, on a 15 ans, on emmerde le monde. On voulait jouer aux cons, aux gars qui ont tout compris, l’expérience derrière eux, à qui on ne la fait pas. On retombe dans le panneau, une énième fois. On l’a pourtant vu de loin, ce panneau, il clignote, il fait 12 mètres de long, mais on se l’est payé. Ces jeunes gens n’ont peur de rien, ont le ventre aussi gros que les yeux, bouffent à tous les râteliers et régurgitent l’ensemble à la sauce Turnstile. Ils flirtent parfois avec le douteux mais atterrissent presque toujours sur leurs pieds de gamins surdoués et insolents. Certains éléments pourraient coincer pris indépendamment, ils se révèlent étonnamment cohérents noyés dans l’ensemble.

Le fait est que Glow On, aussi tape à l’oeil qu’il est, tape toujours aussi fort dans l’oreille et continuera sans doute de le faire des mois voire des années durant. Pour l’heure, le léger recul dont nous bénéficions, s’il a quelque peu atténué l’euphorie, n’aura pas changé grand-chose à l’affaire. Glow On est probablement un tournant dans la carrière de Turnstile. Derrière, c’est le stade ou le purgatoire. On pense à Queens of the Stone Age ou Arcade Fire et on tremble. Contentons-nous de prendre ce disque pour ce qu’il est : un pur plaisir, un brin coupable par moments, mais qu’il serait totalement idiot de bouder. Quand on aura les articulations qui grincent, il sera peut-être temps de se dire qu’on est trop vieux pour ces conneries. En attendant, profitons.

Jonathan Lopez

Pour comprendre de quoi on parle en intro

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