Tunic – Wrong Dream
Profitons de l’été et de la baisse d’intensité du rythme des sorties pour nous replonger dans celles que nous avions dédaignées ou trop vite survolées. Pour Tunic, l’explication est simple : alors que Quitter (2021) avait été salué pour son intensité, sa rage, ses gueulantes bien placées, il nous avait un peu gonflés de par son côté un rien abrutissant. Et finalement, apprendre que ce troisième album, Wrong Dream, rebat les cartes et se montre plus aventureux, constituait un heureux présage.
L’entame n’est pourtant pas franchement détendue du gland. L’oppressant « Sounds Repeat » martèle d’emblée qu’il faudrait être fou pour se lancer la fleur au fusil. Mais après son intro alarmiste, une fois les protections auditives insérées, tout se révèle plus lent, moins rustre, plus subtil, et, fatalement, plus intéressant. Press repeat sounds like a good idea. Durant ses premières secondes, « Punishment Enough » ne tergiverse pas davantage mais ne tarde pas à séduire avec son jeu basse-batterie bien trippant et cette gratte qui joue les sonnettes d’alarme alors que David Schellenberg (justement gratteux de son état) déclame des couplets en mode spoken word. Plus loin, c’est la basse espiègle du finalement très post punk « My Body, My Blood » qui nous cueille et la batterie qui l’accompagne habilement recèle là encore de ce soupçon d’inventivité bienvenu. Le final grimpe ensuite en intensité jusqu’à se révéler quasiment irrespirable. Vous devriez survivre, toutefois. Et si vous avez cette chance, vous constaterez avec bonheur qu’en quatre morceaux seulement, Tunic vient de parvenir sans mal à se réinventer et désarçonne par sa capacité à varier ses plans et renouveler ses assauts. Désarçonnés, vous le serez encore davantage par « Empty Husk » en forme de lente déliquescence avant un superbe final (du morceau et du disque, figurez-vous), saisissant de mélancolie. Un morceau de 8’21, là où aucun ne daignait dépasser les deux minutes dans un passé pas si lointain. Tunic aurait grandi ? Si ce n’est pas le cas, il fait bien semblant. Que les bourrinos se rassurent toutefois, Tunic demeure un grand gamin remonté et ne prend pas toujours soin d’enfiler des gants (de boxe, à la limite) quand il s’agit d’exprimer une violence primitive jouissive (« Protected », « Whispering »). Sur cette dernière, tout comme sur les esclandres de « Indirect », il ne sera pas incongru de penser à Idles, mais là où les Anglais commençaient à sérieusement nous les briser, les Canadiens empruntent la trajectoire inverse en nous enthousiasmant comme jamais. D’enthousiasme, il n’est pourtant guère question au cours de cet album à fort caractère dépressif, à chérir avant tout par les claustros, désaxés, reclus et inadaptés qui ne cessent de ruminer dans leur coin et s’estiment rarement à leur place. Il semblerait qu’on corresponde parfaitement au profil.
Jonathan Lopez