The Psychotic Monks + Mad Foxes @ EMB (Sannois, 95), 04/12/21
Quand on est un banlieusard val-d’oisien, une sortie dans la capitale n’est jamais l’expédition du siècle (comme semblent le croire les Parisiens pure souche qui nous considèrent comme des paysans) mais nécessite forcément un minimum d’organisation et surtout de temps. Ainsi, un concert un samedi soir à dix minutes de voiture de son domicile, ça ne se refuse pas. Surtout dans une salle comme l’EMB dont le personnel est très agréable et où la qualité du son est presque toujours irréprochable. Et pour avoir déjà vu les Psychotic Monks se produire à deux reprises (dont une dans ces mêmes lieux), on se doutait bien que le court déplacement en vaudrait la chandelle. On ignorait en revanche sortir aussi impressionnés. Presque chamboulés par ce qu’on venait d’entendre.
Mad Foxes avait l’honneur d’ouvrir les hostilités sur le coup de 21 heures dans une salle assez clairsemée. Après une écoute rapide de leur dernier album Ashamed avant le concert, on savait à quoi s’en tenir et on était relativement enthousiaste. Les Nantais jouent un post punk énervé tout ce qu’il y a de plus honnête, entre gimmicks et coups de sang. Ils sont appliqués, semblent croire en ce qu’ils font, le problème c’est qu’on a le sentiment d’en avoir gobé ad nauseam des groupes comme celui-ci ces dernières années. Et on se trompe peut-être (on leur souhaite) mais on ne serait pas surpris de les avoir oubliés d’ici deux ans. Après ce set somme toute sympathique, ponctué par un poirier du chanteur, on sent que le niveau va monter de quelques crans avec l’arrivée des Monks. Et ça ne loupe pas. Sans round d’observation, le quatuor nous accule dans les cordes d’emblée avec le claustrophobe “Isolation”. Le son est dantesque, le groupe est en place comme jamais et semble façonner en direct une musique mouvante, insaisissable, qui fait voler nos repères en éclat. Chaque concert des Psychotic Monks est unique, chaque prestation surclasse la précédente. La précédente datant de l’an 1 avant Covid, il y a 45 ans environ, on ne sait plus vraiment si c’était déjà aussi fort ou s’ils sont devenus des monstres. Leur implication est sidérante, ne faisant qu’un avec leurs instruments, avec nous. Le groupe semble en effet se nourrir de notre présence pour partir en transe main dans la main, guidés par une basse-batterie qui parfois carburent sur une autoroute dont on ne voit pas le bout et bifurquent soudainement pour emprunter une chicane qu’on jurerait ne pas avoir aperçue auparavant. Les moines se jouent du temps, l’étirent, se relaient au chant comme si de rien n’était, nous poussent dans des spirales expérimentales arty jamais chiantes. JAMAIS. Au contraire, nous sommes fascinés. On se regarde, on les regarde, on se demande s’ils sont encore là ou s’ils lévitent au-dessus de nos têtes. La salle est captivée, à l’affût du moindre changement, en hypnose, en totale symbiose. De nouveaux morceaux sont joués, on a hâte de les décortiquer longuement. Pour l’heure, il faut se contenter d’ouvrir grand les écoutilles et se laisser guider. Il y a notamment ce titre qui semble en contenir trois, incluant un passage hors du temps, d’une beauté immaculée où les arpèges insistent, reviennent incessamment, tandis que la batterie (quel batteur !) appuie là où ça fait du bien. Ça plane sévère. Plus loin, une note se répète, 15, 20, 50 fois, de plus en plus faible, prête à s’éteindre. Les mouches volent, la sanction va tomber. L’explosion est radicale, violente, dévastatrice. On se regarde à nouveau, quelque peu ahuris. Totalement retournés en tout cas. On suppute que les renardeaux sympathiques de tout à l’heure prennent des notes, réfugiés dans leurs terriers. Un gouffre les sépare. Mais il n’y a rien d’infamant. Un gouffre sépare les Psychotic Monks de l’immense majorité des groupes français. Ils ne surjouent jamais, ils jouent. Avec spontanéité et sincérité, avec un cœur gros comme ça et des compos d’une richesse insoupçonnée. L’un des guitaristes se dirige vers le bar. Pas pour commander une pinte mais pour grimper dessus. Il hurle, regard habité, yeux exorbités. Il redescend, on peut enfin lire ce qu’il y a sur son t-shirt “free Britney”. Oops! Le décalage total avec ce à quoi nous venons d’assister est savoureux. Il est temps de partir. Et débriefer longuement. Il faudra revenir. Le plus vite possible. C’est pour des soirées comme celle-ci qu’on aime tant la musique.
Jonathan Lopez