Swervedriver – Raise
Ils n’ont jamais trop su où se mettre. On a toujours été incapables de les caser. Swervedriver, le plus américain des groupes anglais, le plus grunge des représentants shoegaze, débarquait à la fin des années 80 avec la ferme volonté d’en découdre, d’abord via une série d’EPs avant de signer son premier format long, Raise, il y a trente ans de cela.
Le groupe s’est toujours revendiqué de la scène rock alternative américaine. Son rêve ? Signer chez Blast First, maison de Sonic Youth et Dinosaur Jr. Ce sera finalement Creation par l’entremise de Mark Gardener de Ride. Allez, c’est pas si mal. Mais il faudra faire avec l’étiquette shoegaze. Être dans la grande famille des zicos qui contemplent leurs godasses quand on a la bougeotte et qu’on est obsédé par la vitesse et les bolides, voilà qui est assez cocasse.
L’entame avec « Sci-Flyer » n’y va pas par quatre chemins. Hurlements de guitare en fusion, roulements de batterie. On l’a dit, chez Swervedriver, on ne goûte guère l’attentisme. Summum de cette frénésie, le surpuissant « Son of Mustang Ford » au riff infernal. Composé en 1989, il s’agissait du premier single du groupe. Inconcevable de laisser un tel tube sur le bas-côté. Même le break du morceau porte bien mal son nom, refusant catégoriquement de décélérer. Tout droit, toujours plus vite. Et plus fort.
« Deep Seat », nous offre toutefois un léger répit. Confortablement installés, on se laisse happer par cette énorme basse qui bouffe tout l’espace. Autour d’elle, les deux artificiers Adam Franklin et Jimmy Hartridge font pourtant feu de tout bois et viennent toiser le mur du son. Tout s’écroule sans doute autour. On ne sait plus. On est ailleurs.
Ce cul coincé entre deux chaises, Swervedriver en a fait une de ses forces, à l’image de la fabuleuse « Rave Down », hésitant entre apathie (le refrain) et virulence (ce pont qui frise l’hystérie). Le mélange est savoureux : les kilos de reverb sont là, Franklin n’a jamais besoin de hurler son mal-être, son chant embrumé se fait entendre comme il peut (« Pile-Up »). À côté de ça, la section rythmique tabasse comme rarement et les guitares ne se font pas prier pour placer de fulgurantes accélérations, remettant régulièrement des pièces dans la machine, à grands coups de distos et de quantité d’effets qu’on est bien incapables de nommer. Ne jamais s’endormir sur l’accélérateur. Sans négliger mélodies et refrains. Swervedriver connait ses classiques. Sur « Sandblasted », nonchalance en bandoulière, on est clairement dans ce qui se fait de mieux parmi l’indie rock 90s outre-Atlantique.
Autoproduit, ce disque sonne pourtant remarquablement. Crade comme il se doit, l’ensemble sature dans tous les sens, l’aiguille ne quitte jamais le rouge. Il n’empêche. Jamais rien n’est noyé. Le jeu de batterie très agressif de Graham Bonnar, pièce maitresse du son de Raise, est parfaitement mis à l’honneur. Le gus plantera tout le monde durant la tournée en quittant le tour bus « pour aller chercher un sandwich ». On espère qu’il était bon. Ses anciens potes l’attendent encore.
Ils s’en relèveront toutefois, malgré de multiples changements de line-up, avec un Mezcal Head (1993) presque du même acabit, avant d’amorcer sur les deux albums suivants un virage pop qui leur convient moins, il faut bien le dire. En 2015, sept ans après ce qui ressemblait fort à un split qui ne dit pas son nom, Swervedriver annonçait son grand retour dans les bacs. Deux bons disques plus tard, I Wasn’t Born To Lose You (2015) puis Future Ruins (2019), Franklin et Hartridge, les deux seuls membres d’origine fidèles au poste, tâchent de garder les yeux sur la route plutôt que de scruter le rétro. Où trône cet imposant et inégalable Raise.
Jonathan Lopez
Cet article est paru initialement dans notre premier fanzine, toujours disponible sur commande par mail et dans certains disquaires (Total Heaven à Bordeaux, Music Fear Satan, Balades Sonores et Parallèles à Paris)