The Stranglers – Feline (Epic)
Vous avez remarqué, comme certains disques font partie intégrante de la bande originale du film de votre vie, et vous en remémorent à chaque écoute certains évènements très précis. Pour ma part l’album Feline des Stranglers fait indéniablement partie de ceux-là. Album de rupture dans la discographie des Étrangleurs, c’est un de ceux qui tournaient régulièrement sur ma platine au début des années 80.
Les Stranglers est un groupe anglais né en 1976, composé de Hugh Cornwell aux chant et guitare, Jean-Jacques Burnel (français par ses parents) à la basse, Jet Black (ancien batteur de jazz) à la batterie et Dave Greenfield aux claviers. Les Stranglers ont incontestablement un son qui leur est propre, caractérisé par le jeu de basse tantôt mélodique ou agressif de Burnel, et les nappes de claviers de Greenfield.
Les deux premiers albums Rattus Norvegicus et No More heroes parus tous deux à quelques mois d’intervalle, en 1977, en pleine explosion punk, donnent le ton de la première période musicale du Groupe. Musique d’une énergie féroce, mix de nombreuses influences, avec quelques brûlots en tête de gondole : « Hanging around », « Peaches », « Something better change » ou « No more Heroes », notamment. Une réputation sulfureuse leur colle rapidement aux basques, en effet leurs prestations live sont souvent le prétexte pour déclencher les bastons pour une partie de leurs fans, et le Groupe entretient des relations tumultueuses avec une partie de la presse.
Ils vont traverser une période de galère pendant deux ans, à partir de fin 1979. Décès dans leur entourage, matériel dérobé durant une tournée aux US, arrestation de Hugh Cornwell pour détention de drogue, et cerise sur le gâteau (si je puis dire), incarcération du Groupe en France pour « incitation à l’émeute » durant un concert qui tourne mal à Nice. Ils en feront un titre plutôt ironique quelques années plus tard (« Nice in Nice »).
En 1981, sortis de leurs galères, ils publient coup sur coup deux albums qui vont les remettre en selle, sinon financièrement, du moins artistiquement. L’ambitieux concept album « (The Gospel According to) The Meninblack », en relation avec la thèse conspirationniste des fameux MIB (vous connaissez sûrement Will Smith et Tommy Lee Jones). Album au son proche de la techno, évidemment très iconoclaste à l’époque. L’album est très mal reçu par la presse et le public, mais il reste pour JJ. Burnel son préféré de toute leur discographie.
Vient ensuite l’album de la rupture et du changement radical de style « La folie ». Ce disque est un virage vers une pop rock mélodique qui se veut en réaction à la musique ambiante, et leur désir de se renouveler, en explorant de nouvelles voies musicales. Concept album sur le thème universel de l’Amour sous toutes ses formes, y compris le cannibalisme, conté sur le titre éponyme, interprété en français par JJ. Burnel, en référence au fait divers tragique de l’étudiant japonais Issei Sagawa qui avait assassiné et dévoré en partie sa petite amie néerlandaise à Paris.
Le disque comprend le single « Golden Brown », valse aux claviers tourbillonnants, qui sera un grand succès, notamment en France. À noter que le « Golden Brown » en question est une double référence, à une belle femme métis et à l’héroine (remember « Brown Sugar »). Même si le single puis l’album remportent un franc succès, ils se brouillent avec leur maison de disques et signent un nouveau contrat avec Epic.
Satisfaits de leur travail sur « La Folie », les Men In Black décident de poursuivre dans cette voie pop, et publient donc fin 1982 le fameux album Féline, qui représente le début d’une période plus assagie et mature. L’ensemble dégage une élégance sensuelle, symbolisée par la superbe panthère noire qui orne la pochette du disque.
« Midnight Summer Dream » introduit cette promenade féline avec des nappes de synthés majestueux rejoints ensuite par la basse ronde de Burnel puis la voix sensuelle de Cornwell qui murmure « Woke up on a good day, and the world was wonderful, a midnight summer dream had me in its spell ». Les Stranglers ont laissé derrière eux les colères et la rage du passé pour montrer une image apaisée, et une douceur surprenante.
L’album alterne les ballades splendides, dont la superbe « European Female », hommage aux félines femmes européennes, et les morceaux plus dansants, comme « Paradise », « Ships that pass in the night » ou le magnifique « Blue Sister ».
L’ambiance générale de l’album est très feutrée, sans explosions électriques, tous les titres étant construits sur une base acoustique. Si la basse reste au premier plan (Burnel excellent sur tout l’album), elle se fait caressante, l’essentiel des guitares est acoustique, aux sonorités hispanisantes et presque flamenco. Le son de la batterie est trafiqué pour sonner « boîte à rythmes », la voix de Cornwell est très douce, presque un murmure, et enfin les claviers omniprésents enrobent l’ensemble. Alchimie parfaite pour cet album idéal pour accompagner les moments de détente et de sérénité.
L’album s’achève sur « Never say goodbye », morceau qui met encore en évidence, l’excellence du jeu de Burnel, et souligne la complicité du Groupe.
L’album suivant, Aural Sculpture, est un subtil mélange de pop synthétique et d’influences soul, avec cuivres et chœurs. Le résultat est splendide, du remarquable « Ice Queen » en ouverture, au très fun « Mad Hatter » en clôture. Onze titres pêchus et charnus qui démontraient la capacité des Stranglers à évoluer au fil de leurs enregistrements.
La formation d’origine disparaît avec le départ de Cornwell en 1990, mais Burnel et les deux autres poursuivent leur croisade avec de nouveaux chanteurs/guitaristes. Pour les avoir vus en concert il y a deux ans, et acquis leurs deux derniers albums Suite XVI et Giants, je peux vous assurer qu’ils assurent toujours, et que leurs compositions sont encore de qualité. Strangulation quand tu nous tiens.
El Padre