Slowdive – everything is alive
On aurait tendance à l’oublier, tellement le shoegaze est désormais partout dans la musique actuelle, ses nappes sonores ayant envahi aussi bien la pop commerciale que le metal extrême, mais le mouvement fut largement moqué par la presse britannique lors de son éclosion initiale. Si Loveless de My Bloody Valentine fut vite considéré comme un objet d’avant-garde, les autres protagonistes de la « scène qui se célèbre elle-même » étaient considérés comme des branleurs un peu mou cherchant à masquer la pauvreté de leurs compositions sous des tonnes d’effet. La vague shoegaze ne durera d’ailleurs pas bien longtemps et sera vite éclipsée par la britpop et ses guitares souvent plus rageuses et ses mélodies triomphantes. De tous les groupes du mouvement, c’est sans doute Slowdive qui dut subir les critiques les plus acerbes. Léthargique, gentillette, inconsistante, la musique du groupe fut la tête de Turc de la période. Un journaliste du Melody Maker écrivit même au sujet de Souvlaki : « je préfèrerais me noyer étouffé dans un bain rempli de porridge que de devoir le réécouter ». On peut au moins dire que nos confrères britanniques ont le sens de la formule.
Quelle ironie donc que trente ans plus tard, Slowdive soit devenu, de tous les groupes shoegaze à s’être reformés, celui qui semble désormais le plus révéré et dont le nouvel album est le plus attendu. Que s’est-il passé entre temps ? D’une part, il y a eu la vague post-rock qui s’est en partie inspirée du groupe et notamment de son dernier disque avant le split, Pygmalion. D’autre part, les groupes de metal qui ont revendiqué une influence shoegaze comme Alcest ou Deafheaven ont souvent cité Slowdive plutôt que Ride ou MBV. Enfin, il y a le fait que les projets qui ont suivi le split du groupe, qu’il s’agisse de Mojave 3 ou des disques solo de Neil Halstead, ont permis de mettre en évidence les grandes qualités de songwriter de ce dernier, et de réaliser que de grandes chansons se cachaient en réalité derrière les murs de guitare et de clavier.
Quand le groupe se reforma au début des années 2010, il sembla être celui qui avait le plus bénéficié de sa période de hiatus. La formation donna de superbes concerts, du genre à faire pleurer les filles aux cheveux bleus, puis sortit deux ans plus tard ce qui est considéré quasi-unanimement comme leur meilleur album. Avec « Sugar for the Pill », « Star Roving » ou « No Longer Making Time », Slowdive apportait de nouveaux classiques à son répertoire tout en proposant un son plus assuré et un chant plus posé avec un meilleur équilibre entre les voix de Neil Halstead et de Rachel Goswell. C’est peu dire, donc, qu’on attendait avec impatience ce everything is alive. Ne faisons pas durer le suspense : il est presque aussi bon que le précédent mais il est surtout très différent. La formation, qui avait choisi pour son retour d’explorer sa veine la plus directe, la plus pop, a opté pour plus de textures, plus de claviers et d’une manière générale plus d’expérimentations. everything is alive grouille de sons synthétiques et de voix trafiquées. En un sens, on peut dire qu’il revient aux sources de la musique du groupe, avec une atmosphère rêveuse et éthérée qui rappelle Just for a Day ou les premiers EPs, mais avec une production bien plus puissante et moderne.
Ça commence avec l’élégiaque « shanty », reposant sur une boucle répétitive électronique avant que n’apparaissent les grosses guitares et les voix harmonisées de Neil Halstead. Ce premier morceau annonce la couleur mais on ne s’attendait pas à ce que Slowdive ose le faire suivre d’un instrumental sublime, « prayer remembered » qui a la grandeur des meilleurs chansons de Mogwai. D’une manière générale, il faut dire que par rapport au précédent, les voix sont délibérément en retrait et le plus souvent utilisées comme des instruments. Il faut attendre « alife » pour arriver à un format chanson un peu plus classique et celle-ci met bien Halstead à l’honneur, au point qu’elle aurait pu sans problème figurer sur un album de Mojave 3. Plus loin, « kisses » propose une deuxième incursion plus pop, dans l’esprit du disque homonyme précédent mais le disque se termine ensuite dans la veine élégiaque et répétitive par laquelle il avait commencé. Experts en textures entêtantes et en mélodies enchanteresses, les cinq musiciens produisent un disque certes moins immédiat que Slowdive mais tout aussi addictif sur la durée. J’ai parlé de Just for a Day, mais on pense aussi pas mal à Pygmalion. Sauf que ce dernier était un album assez minimaliste et globalement déprimant qui trahissait sans doute les envies d’envol de Neil Halstead, qu’on sentait être devenu le seul maître à bord. Par contraste, everything is alive semble clairement être le produit d’un groupe de musiciens qui aiment être ensemble et le font savoir de la plus belle des façons. Résultat : un disque qu’il faudra bien finir par caser dans notre top 2023…
Yann Giraud