Shearwater – The Great Awakening

Publié par le 8 juin 2022 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Polyborus/Modulor, 10 juin 2022)

Shearwater fut formé à la fin des années 90 par Jonathan Meiburg et Will Sheff, qui officiaient également dans Okkervil River. Après quelques albums où on sentait que les deux singer/songwriters cherchaient à trouver leurs marques, Shearwater est devenu le véhicule du seul Meiburg et Okkervil River la propriété de Sheff. Depuis, il est difficile de ne pas chercher à comparer ces deux groupes. Si Sheff est du côté des gens, ses chansons se situant dans une veine tout aussi poétique que sociale, pas trop éloignée d’un Bruce Springsteen, Meibug, lui, s’est tourné du côté de la nature. Musicalement parlant, sa musique a pris des atours contemplatifs. Tout comme Okkervil River, Shearwater a très vite atteint la plénitude de son style. Alors que Will Sheff réalisait avec The Stage Names ce que ses fans considèrent comme son disque de référence – Meiburg était encore officiellement dans le groupe mais son rôle devenait négligeable -, Shearwater entamait une trilogie d’albums connus rétrospectivement sous le nom de « The Island Arc ». Avec Rook, le deuxième album de ce trio gagnant, Meiburg arrivait à combiner exigence sonore et qualités des chansons, composant même deux morceaux qu’on peut qualifier de tubes – à l’échelle « indie », bien sûr : « Rooks » et « The Snow Leopard », ce dernier, à la mélodie proche de « Pyramid Song » de Radiohead étant suffisamment plébiscité par les fans pour être quasi-systématiquement joué en rappel des concerts du groupe.

Après The Golden Archipelago, Meiburg tenta un changement de direction. Il se sépara de son groupe d’alors – qui incluait le formidable Thor Harris, qui officia par la suite chez Swans – et s’orienta vers un art rock plus orienté vers les sons électroniques, les claviers analogiques et les guitares à la Talking Heads. Certains tristes sires n’ont pas apprécié ce changement et l’ont même qualifié de « son 80s ». À mon avis, ils avaient tort mais mon avis est sans doute minoritaire car il est vrai que le groupe, qui avait alors quitté Matador pour Sub Pop, n’a pas vendu beaucoup de disques et dut se résoudre à ne plus avoir de contrat discographique. Après le très politique Jet Plane and Oxbow, sorti en 2015, nous n’avons plus eu de nouvelles de Shearwater mais cela ne veut pas dire que Meiburg s’est arrêté. Il a formé avec le duo Cross Record, avec lequel il tournait lors de la dernière tournée de Shearwater, un nouveau groupe, Loma, sortant chez Sub Pop deux disques ayant bénéficié d’un succès d’estime. Bien que chantés quasi-intégralement par Emily Cross, ces disques étaient principalement composés par Meiburg, qui en profita au passage pour renouer avec sa première passion, l’ornithologie – il en est diplômé et a même bénéficié pour cela d’un article dans The Scientific American – et écrire un ouvrage consacré à ce sujet, qui a d’ailleurs obtenu des prix et le respect des critiques et de ses pairs.

Meiburg n’avait cependant pas abandonné Shearwater. Il avait fait un crowdfunding pour financer une éventuelle suite à Jet Plane et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça a marché. Ayant obtenu largement plus que la somme initialement demandée, il a pu prendre son temps et c’est donc sept ans après le dernier album qu’il nous revient sur son propre label avec The Great Awakening. La pochette, signée Kahn & Selesnick, le duo de graphistes responsables des pochettes des trois disques de l’Island Arc, annonce la couleur d’un retour à la forme. On sent en effet l’effort qui a été déployé pour retrouver cet esprit Talk Talk (celui des deux derniers albums et du solo de Mark Hollis) qui imprégnait ces albums. On est à fond dans la demi-teinte et dans le contemplatif. Un peu trop ? Peut-être car, à vrai dire, je peine un peu à discerner les mélodies au milieu de ces arrangements très travaillés avec des cordes frottées et pincées un peu partout. Les aspects plus « art-rock » explorés dans Animal Life et Jet Plane ne semblent pas totalement oubliés avec quelques batteries « triggées », des claviers analogiques, des samples et même du vocoder. Disparues en revanche les ambitions « pop » du groupe. À part sur « Empty Orchestra », on ne trouve pas vraiment de rythme entraînant. La plupart des morceaux dépassent les cinq minutes et beaucoup en font plus de six ou sept. Ces durées sont souvent justifiées par le fait que la musique s’interrompe sur une note, qu’elle prenne son temps pour progresser, plus que par la volonté de construire un crescendo, comme c’était souvent le cas par le passé. Si on retrouve à peu près tout ce qu’on a aimé chez Shearwater, sa voix haut perchée, son sens de la dramaturgie et de l’espace, on reste un peu frustré par le manque de chanson réellement marquante. Le disque est l’un des plus longs produits par le groupe mais il n’est pas si long que cela dans l’absolu (57 minutes). Pourtant, il semble assez difficile à écouter d’une traite sans sentir un léger sentiment de fatigue, de trop plein. Sur ce que je considère comme son meilleur album, The Golden Archipelago, Meiburg était arrivé à proposer une musique très contemplative. Prenant le risque de ne pas inclure de tubes comme « Rooks » dans ce qui constituait le dernier volume de sa trilogie, il avait cependant composé des chansons qui collaient magnifiquement les unes aux autres et contenaient des crescendos de toute beauté (« God Made Me », « Castaways », « Uniform »). Ici, je ressens l’envie de refaire la même chose mais, trop souvent, les quatre ou cinq minutes que met un morceau à décoller ne sont pas vraiment récompensées par un climax qui justifierait une telle attente. Problématique également est la manière dont les meilleurs moments du disque reproduisent quasi à l’identique des réussites du passé. La première plage rappelle vraiment « On the Death of the Waters » sur Rook et le meilleur morceau de l’album, « Aqaba », a vraiment des airs de « Snow Leopard ». On atteint peut-être ici la limite du crowdfunding, celle du « fan service ».

Sans doute suis-je un peu injuste avec ce disque. Peut-être celui-ci finira-t-il par se décanter. Pour l’instant, néanmoins, je dois concéder le trouver à la fois très beau mais un peu froid. Ne boudons néanmoins pas trop ces retrouvailles avec ce qui reste l’un des groupes les plus cultes et mésestimés de ces deux dernières décennies. J’y retournerai, assurément.

Yann Giraud

2 Commentaires

  1. chronique juste d’un disque interessant

    • Merci ! J’aurais préféré l’aimer un peu plus … quelques mois plus tard, je le trouve toujours aussi beau mais un peu désincarné et n’apportant pas tant à une superbe discographie.

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