Saya Gray – SAYA

Posted by on 18 mars 2025 in Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Dirty Hit, 21 février 2025)

Il se passe des choses bizarres dans la vie. Quand à la fin des années 2010 on entend parler d’une fan de Justin Bieber qui révolutionne la musique pop et qu’on écoute son disque sans grande conviction, on a du mal à imaginer que son troisième album finira dans un top 10 de fin d’année quelques années plus tard. Mais parfois, ça va encore plus vite, c’est encore plus inattendu, et ça vous retourne encore plus. 

Si vous connaissez notre rédacteur en chef, vous savez sans doute son amour pour le gros son et son aversion pour ce qu’il va qualifier de « trop pop ». Par exemple, je suis sûr qu’à l’instant où il lit ses lignes, il n’a pas encore compris que je parlais de Billie Eilish dans le paragraphe précédent. Bref, c’est la dernière personne qu’on peut envisager vous conseiller un disque de pop moderne. D’ailleurs, il a bien pris le soin de préciser en nous en recommandant l’écoute qu’il n’était pas le public cible. La surprise est encore plus grande quand on clique sur le lien et qu’on est accueilli par des bruits électroniques et un chant quelque peu maniéré. La surprise fait place à la confusion quand on arrive au bout de l’album sans savoir si on a aimé ou non, tout occupé qu’on était à naviguer dans l’océan de créativité qui nous était proposé. La confusion laisse la place à l’évidence quand on se rend compte qu’on a déjà écouté l’album une douzaine de fois et qu’on n’est pas près de s’arrêter.

Une question se pose alors : comment un album dans un style dont je n’appréciais vraiment jusqu’ici qu’une artiste majeure, et après avoir dû dépasser de nombreuses réticences pour en arriver là, peut-il m’accrocher à ce point ? Si nous étions dans une série télévisée, je dirais que quelqu’un de mal intentionné a trouvé une formule qui rend la musique irrésistible même pour les plus réticents dans un plan de série b pour conquérir le monde. Puisque nous ne sommes pas dans une série télé, je vais devoir trouver une explication qui tienne un peu plus la route. Alors, allons-y.

La première chose qui frappe en écoutant ce premier album de Saya Gray, c’est que la production est excellente. On sent que l’artiste a porté une grande attention à comment l’ensemble allait sonner, ce qui est très plaisant. Ensuite, ce sont les arrangements qui attirent l’attention ; là encore, on sent que rien n’a été laissé au hasard et ce n’est pas une surprise d’entendre en interview que tous les morceaux ont été composés avec en tête les instruments qui allaient être utilisés. Justement, c’est là que les compositions entrent en scène : elles possèdent toutes suffisamment de points d’accroche pour entrer très vite dans la tête mais sont également suffisamment complexes pour offrir encore des nuances après plusieurs écoutes. Tout ceci pris en compte, il ne reste qu’à reconnaitre l’évidence : nous sommes face à de l’orfèvrerie pop finement ciselée.

Cependant, la force de Saya Gray n’est pas uniquement de savoir écrire, arranger et produire des chansons accrocheuses. Ce serait déjà amplement suffisant pour considérer qu’elle a du talent, évidemment. Or, elle ne s’arrête pas là. Si SAYA est si intéressant, à mon avis, c’est qu’il réussit à faire coexister des univers musicaux qu’on n’assimilerait pas spontanément, dans un ensemble cohérent et qui devient différent de tout ce qui le compose : on retrouve des moments intimes et touchants digne des meilleurs albums de folk (« 10 WAYS TO LOSE A CROWN » ou « HOW LONG CAN YOU KEEP UP A LIE »), l’ambiance brumeuse d’un certain type d’électro (« H.B.W. » ou « EXHAUST THE TOPIC ») ou une certaine naïveté synthpop (« PUDDLE OF ME ») mais l’album est aussi un album à guitares, entre la guitare folk qui en constitue le cœur (notamment sur le tube en puissance « SHELL (OF A MAN) » avec son riff qu’envieraient pas mal de musiciens alt country), la pedal steel qui vient renforcer plusieurs morceaux de façon assez inattendue et l’électrique qu’on retrouve sur les titres qui sembleraient les plus taillés pour une instrumentation électronique. 

Ce mélange entre des instruments « classiques » et des affinités de composition avec de la musique plus « moderne » donne à l’ensemble l’impression que l’artiste a su trouver le meilleur des deux mondes pour en tirer une musique organique avec une forte personnalité. Bien plus efficace que l’approche qu’on pourrait qualifier de « Bad Brains » (un morceau complètement punk hardcore, puis un autre complètement reggae), ce mélange d’éléments disparates permet de ne jamais s’ennuyer, même quand on croise des résidus de styles musicaux auxquels on serait réfractaire. Finalement, SAYA réussit à plaire autant, a fortiori à des personnes qui n’ont aucune réelle affinité pour la pop moderne car il ne ressemble pas tellement à un disque de pop moderne, et pourtant ce serait difficile de le définir autrement. Un véritable tour de force !

Quant à savoir pourquoi je ne peux plus m’empêcher de l’écouter encore et encore, je n’ai pas vraiment de réponse. Ce qui propulse tout album du rang d’écoute intéressante à celui d’obsession, c’est typiquement ce qui le rend impossible à critiquer objectivement : l’émotion qu’il nous procure. De ce fait, je crois que je ne trouverai jamais une réponse raisonnée à cette question mais ça ne m’empêchera pas de la chercher en me rendant au concert de Saya Gray prévu au Cabaret Sauvage le 15 avril. Qui sait, peut-être que ça m’aidera à comprendre les choses bizarres qui se passent dans la vie…

Blackcondorguy

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