Rodriguez – Cold Fact (Sussex)

Publié par le 23 avril 2014 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

Cold+Fact++HQ+coverSi vous n’êtes pas Sud-Africain, ce monsieur vous était sans doute inconnu il y a encore quelques années.  Moi-même, véritable érudit musical s’il en est, n’en avais jamais entendu piper mot avant de voir le formidable documentaire Sugar Man de Malik Bendjelloul qui lui était consacré…

Et ben vous voyez ce genre de constat, moi ça me fout un peu les glandes. Ça montre bien que si le gars n’avait pas pris sa caméra pour nous raconter l’incroyable histoire de Rodriguez, véritable mythe à son insu en Afrique du Sud, inconnu total partout ailleurs, nous n’aurions jamais découvert ses deux superbes albums. Et par extension, cet exemple est l’illustration parfaite qu’un certain nombre d’artistes sortent de grands disques dans l’anonymat le plus total pendant que d’autres se goinfrent en pondant bouses sur bouses. Si ça c’est pas malheureux… À côté de ce genre de drames, la faim dans le monde est une bénédiction.

Mais revenons donc à Rodriguez. En 1970 il publie Cold Fact, premier album d’une carrière éclair. Guitare folk à la rythmique heurtée, voix lointaine et trainante qui s’adresse à un certain “Sugar Man”, visiblement assez friand de substances illicites (“Silver majik ships, you carry, Jumpers, coke, sweet MaryJane”). La basse nous berce, en contraste avec les cordes et cuivres vicelards. La fin n’en est pas vraiment une, un fade out en douce et Sugar Man disparait comme il était apparu. Dommage on en aurait bien pris plus. Cette mise en bouche est en tout cas bien savoureuse.

Une des grandes forces de Cold Fact est la variété des mélodies et les atmosphères différentes qui se dégagent de chaque morceau. Comme s’il s’agissait d’un recueil de nouvelles (d’autant que les morceaux sont assez courts). Le sieur Rodriguez excelle dans bien des registres et le prouve en se montrant aussi efficace quand il fait parler l’émotion (la magnifique “Crucify Your Mind”), ou quand c’est plus énervé (“Only Good For Conversation”, ses fulgurances électriques et sa basse grinçante), voire carrément festif (le tube “I Wonder”).

Autre point positif, le côté très lo-fi. Ce disque sonne brut, cash, honnête (“Forget It”). Une production minimaliste, “homemade”, qui se permet toutefois des arrangements soignés ne gâchant évidemment rien au plaisir.

Pour son premier album, Sixto Rodriguez faisait preuve ici d’une très grande maturité tant au niveau des textes que du sens aiguisé de la mélodie. Comme un certain Bob Dylan, à qui on pense forcément parfois (“Hate Street Dialogue”), mais qu’on oublie vite car ce Rodriguez dégageait une grande personnalité, une patte et un charisme impressionnant.

Le genre de disque auquel on s’attache très vite et dont on ne se lasse jamais. Et au fond il n’est guère surprenant que des milliers de Sud-Africains aient grandi avec Cold Fact comme disque de chevet. Si on nous avait prévenus, on en aurait sans doute fait autant…

JL

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *