Robert Plant & Alison Krauss – Raise The Roof
« No more Loud music! » C’est ce qu’avait déclaré Robert Plant peu de temps après son concert du 10 décembre 2007 avec Jimmy Page, John Paul Jones et Jason Bonham, alors qu’on le pressait de toutes parts de capitaliser sur la reformation de Led Zeppelin pour entamer une tournée. La même année, il sortait Raising Sand, en duo avec Alison Krauss, un disque réalisé par T-Bone Burnett, l’un des meilleurs producteurs americana de ces trente dernières années – et compagnon de route de Dylan lors de la fameuse Rolling Thunder Review. Le choix de Plant de privilégier ce genre de projet à la musique abrasive du groupe qui a fait sa gloire n’étonnera cependant pas ceux qui connaissent bien la carrière du bonhomme et les incursions de Zeppelin dans les musiques acoustiques. Après tout, lorsque Plant et Page se réunirent pour la première fois, au milieu des années 90, n’était-ce pas pour produire un disque partagé entre musique orientale et folk celtique ? Quant à l’americana, on peut dire aussi que c’est une vieille passion pour Plant qui, en solo, a repris Tim Hardin et joué avec Rainer Ptacek, le regretté joueur de national steel guitar qui jouait avec Howe Gelb dans Giant Sand. Par ailleurs, Raising Sand fut auréolé d’un succès critique et public inattendu, lui valant également un Grammy Award qu’il n’obtint jamais avec le dirigeable malgré les millions de disques vendus aux États-Unis par le groupe.
On peut se demander pourquoi il fallut treize ans au duo pour donner suite à ce disque. J’ai entendu récemment sur une radio nationale que la plus frileuse était Alison Krauss, cette dernière attendant d’entendre le bon répertoire pour se lancer dans une nouvelle fournée de reprises country, blues ou folk avec l’ex-Led Zep. La révélation serait venue de « Quattro », le morceau de Calexico qui ouvre ce nouvel album et que Krauss n’aurait découvert que récemment. À vrai dire, on peut se demander comment il aurait fallu tant de temps au duo pour réaliser qu’une reprise de Calexico était de l’ordre du possible. OK, je veux bien croire qu’Alison Krauss vit dans un monde parallèle – celui de la country « mainstream », dans lequel la country alternative de Calexico n’a pas beaucoup d’influence -, mais puisque, comme dit plus haut, Plant a côtoyé le guitariste de Giant Sand, groupe dans lequel officièrent Joey Burns et John Convertino, on s’étonne qu’il ait pu ignorer si longtemps le répertoire du groupe de Tucson. Donc, bon, passons… On ne sait pas ce qui explique ces treize longues années – quatorze si on compte le temps que cela a pris de le finaliser -, mais on est content que le disque soit là. Surtout qu’elle est quand même magnifique, cette reprise de Calexico, à laquelle le duo apporte beaucoup de douceur, accompagné par à peu près les mêmes musiciens que sur Raising Sand, au premier rang desquels on trouve, outre Burnett, le guitariste Marc Ribot et le batteur Jay Bellerose. La production, elle aussi, ne s’éloigne pas particulièrement de celle du premier album du duo. On retrouve ce son très près des cordes, du bois et des peaux, avec une touche de réverbération pour donner un côté quelque peu fantomatique à l’ensemble. Aux côtés de Calexico, ici, on retrouve une série de reprises plus anciennes qui mélangent Américains – Allen Toussaint, Merle Haggard, Everly Brothers, etc. – et des Européens comme la regrettée Sandy Denny qui fut la seule chanteuse à accompagner Robert Plant sur un disque de Led Zeppelin, et Bert Jansch, qui fut pour Jimmy Page une inspiration importante. L’ombre du dirigeable n’est donc finalement pas si loin.
Plant brille particulièrement sur la reprise de Sandy Denny, « Go Your Way » et Allison Krauss sur une reprise de la blueswoman Geeshie Wiley, « Last Kind Words Blues ». Ces ballades, ainsi que les reprises de « The Price of Love » des Everly Brothers et « Going Where the Lonely Go » de Merle Haggard, font partie des plus beaux morceaux de l’album. À titre personnel, je suis moins emballé par les morceaux les plus uptempo tels que « Can’t Let Go » de Randy Weeks et « High and Lonesome », la seule composition originale de l’album, signée par Plant et T-Bone Burnett. Non pas que ces morceaux soient mauvais mais je trouve que leurs interprétations sont des décalques de deux morceaux du premier album, respectivement « Rich Woman » et « Gone Gone Gone ». Certes, le son est plus clair et percutant sur Raise The Roof qu’il n’était sur le précédent – j’ai écouté les deux disques à la suite pour les comparer – et on sent aussi que les musiciens ont appris à se connaître. Mais justement, il manque un chouia d’âme, le genre de choses qui se passent quand des musiciens se rencontrent et tentent des trucs un peu nouveaux pour eux. Raise The Roof n’est pourtant pas un ratage. On peut même dire qu’il nous donne plusieurs fois la chair de poule, mais il lui manque juste cet effet de surprise qu’avait le premier album. Il manque aussi légèrement d’atmosphère, comme la déchirante ballade « Polly Come Home » de Gene Clark, sur laquelle Plant excellait, ou d’une composition contemporaine de la trempe de « Sister Rosetta Goes Before Us » que l’immense autrice-compositrice et par ailleurs ex-femme de Burnett, Sam Phillips avait apporté à ce premier essai. Le fait qu’on retrouvait déjà des chansons de Everly Brothers et d’Allen Toussaint sur ce disque nous fait penser que le nouvel album se différencie relativement peu de son prédécesseur et peine à totalement satisfaire les longues années d’attente. Il faut dire que, long de plus de 50 minutes, il a du mal à justifier sa durée, se finissant d’ailleurs par un morceau à la production un peu plus contemporaine, « Somebody Was Watching Over Me », que j’ai trouvé en décalage avec le reste de l’album et dont, à mon humble avis, on aurait pu se passer. Si on ajoute à cela un artwork plutôt bâclé, on peut se demander si Robert Plant et Alison Krauss ont bien mis toutes les chances de leur côté pour pousser leurs fans à se ruer sur ce nouvel album ou s’il ne s’agit pas plutôt d’une simple occasion de commémorer le précédent album et d’un prétexte pour partir en tournée. On ne va cependant pas bouder son plaisir : l’album demeure largement satisfaisant et on regrettera juste que ladite tournée ne passe pas, du moins à l’heure où j’écris ces lignes, par la France.
Yann Giraud