RIP Jean-Louis Murat (1952-2023)

Publié par le 28 mai 2023 dans News

Il y a des nécrologies qu’on n’était pas prêts à écrire. Jean-Louis Murat, Bergheaud de son véritable nom, n’est plus. Le chanteur/auteur/compositeur/guitariste auvergnat aura, quarante années durant, éclaboussé la chanson française de ses textes ciselés et de ses mélodies mélancoliques.
Les débuts n’auront pourtant pas été faciles. Artiste autodidacte découvert par William Sheller, auteur d’un premier 45 tours « Suicidez-vous, le peuple est mort » que les radios refuseront de diffuser, car le prenant au premier degré, Murat mettra de longues années avant de remonter la pente, sortant en 1989 le sublime Cheyenne Autumn et son tube « Si je devais manquer de toi ». À l’époque, on demande à Jean-Louis de coller à l’air du temps. Les sons sont synthétiques, les guitares en retrait. Elles reviendront petit à petit, notamment sur le sublime Venus de 1993, disque sur lequel sa musique prend des teintes folk.
Après l’éclectique Dolorès, considéré par beaucoup comme son chef-d’œuvre, Murat s’envole pour les États-Unis, où il collabore avec Marc Ribot, Elysian Fields et Calexico. Le résultat, Mustango, va fixer le son de la chanson française du début des années 2000. Tout le monde va vouloir aller faire son disque à Tucson et avoir le son de la country alternative du Sud. En rendant hommage à Jim Harrison, l’écrivain américain des grands espaces, Murat installe son personnage de gentleman farmer misanthrope. Les disques suivants poursuivront dans cette veine, dont il ne bougera pas durant toutes les années 2000 et une partie de la décennie suivante. Infatigable, il sortira ainsi des disques de country folk tous les ans. Après Lilith (2003), sommet du genre et triple-album en vinyle, Murat perd un peu l’inspiration. Ses disques suivants sont bons – il n’en a jamais sorti de mauvais – mais ils sont juste moins essentiels. Les ventes de disques diminuent, sa maison de disque le lâche – il faut dire qu’il avait rejoint V2 lorsque le label périclita et, ironie du sort, il se retrouva un temps chez Universal avant de retrouver chez Pias un refuge pérenne. Il sort alors son meilleur album depuis un bail, Babel, enregistré avec le Delano Orchestra.
Il reviendra à ses premières amours avec des sons électroniques sur deux de ses disques les plus étonnants, Travaux sur la RN89 et Il Francese, ce dernier contenant l’une de ses chansons les plus simples et touchantes, « Je me souviens ».
Murat était aussi une personnalité publique et un franc-tireur, n’hésitant pas à fustiger la médiocrité de la chanson française. La confraternité lui était étrangère et il préférait tirer sur quasi-tous ses collègues que de se faire une place parmi la grande famille des Enfoirés. Son discours aura parfois éclipsé ses actes : il reprenait pourtant le rappeur Akhenaton dès le milieu des années 90 (« Au fin fond d’une contrée »), a mis le pied à l’étrier à Silvain Vanot – que j’embrasse de toutes mes forces –, à Camille ou à Morgane Imbeaud, a su développer des liens avec la scène folk anglophone de Clermont-Ferrand. Contradictoire, Murat disait parfois n’écouter que des vieux Ray Charles mais il citait pourtant Kendrick Lamar sur ses derniers albums. Il se disait de droite mais plaisait surtout aux lecteurs de la presse de gauche – Telerama, Les Inrocks, Libé – et aux auditeurs de France Inter, qu’il se faisait un plaisir de choquer.
Murat était l’épitomé de l’artiste indépendant français, indépendance qu’il aura payé par une grande solitude. C’est seul qu’il est décédé dans sa propriété auvergnate, d’une embolie pulmonaire. La France perd ainsi l’un de ses derniers géants. Je pense pour ma part très fort à son jeune ami Antonin Lesueur, à qui il aura donné la passion de la musique folk et country américaine.

Ludvik Jahn

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