Princess Thailand – Golden Frames
Disons-le tout de suite, Princess Thailand a réussi à concrétiser l’album mastoc de cette fin d’année, et il faut souligner le fait que le groupe toulousain ait réussi à joindre son auditoire dès l’entame avec uniquement ces quelques mots : « Are you listening? »
« Blinded Fool » est un coup de poing direct décoché en pleine gueule, tel qu’à la première écoute, j’en ai du mal à mâchoire. Le tempo vous dévore dès l’intro, ça vous attrape le corps et imprègne la peau.
En s’écartant du périmètre des deux précédents albums, Princess Thailand cherche à élever l’auditeur plutôt que de l’écraser, d’ailleurs sa musique est une réinvention constante, un grand écart comme le confirme « Ghost Car » qui a tout les atouts du titre qu’on écoute en boucle jusqu’à en devenir cinglé. Le chant d’Aniela est mouvement, rien ne contredit ses intentions : effacer le passé et investir le présent. Ses prestations scéniques ont une dimension sacrée, indissociable de ses compères. Sans jamais être foutraque, Princess Thailand maintient le cap de sa trajectoire, par une coagulation de sonorités noise-punk-no wave sans pour autant en faire un quelconque calque, bref chacun peut en faire sa propre interprétation, notamment au travers du monstrueux « Control », qui vous place dans l’œil du cyclone dans lequel vous voyez le monde se désagréger. « Golden Frames » est un bolide exempté de vidange grâce à des carburateurs bien décrassés, où la moindre étincelle fait bondir hors de la piste une entité à cinq têtes connectée au réel mais surtout à la volonté d’y échapper. « Hidden Places » se réserve le luxe d’aplanir les reliefs, le temps de respirer, de souffler et de reprendre cet élan jouissif. Symbole de la vanité des ambitions humaines, « Machina » est l’intersection de la technologie, de la mort, du pouvoir qui va à l’encontre du lyrisme conventionnel, les mots sont décapés et résistent à la rouille.
Parenthèse avec « The Night Magician », moment où le monde suspendu à un fil ténu, la rythmique hypnotique, déroulent un tapis où les guitares s’étiolent, se croisent, bourdonnent. Ce qui tient du génie chez Princess Thailand, c’est cette capacité à injecter dans la toile musicale, des riffs obsédants et terriblement mélodiques, avec les effets d’un trampoline qui vous catapulte au dôme du plafond terrestre, à la limite de ce qui sépare deux mondes tout en les reliant. Chaque titre semble être l’apothéose d’un moment unique, où tout ce qui est formel, se dilue avant de se restructurer. Princess Thailand sculpte là où personne n’a encore osé, dans les soubassements de la matière, « Basement » est une bombe à explosion décélérée, un miracle instantané. « Golden Frames » ne s’écoute pas, il s’apprécie en tendant les oreilles, en totale immersion sonore, le port du casque est hautement recommandé. L’avenir de la musique est complètement incarné par le quintette.
Franck Irle