Pond – Pond
Nul besoin de chercher bien loin pour vérifier que Pond n’aura pas marqué l’Histoire : trois lignes sur Wikipedia, Google qui renvoie systématiquement à leurs homonymes hippies australiens, affiliés aux infréquentables Tame Impala. À désespérer de l’humanité.
Peut-être eût-il fallu qu’en quittant l’Alaska en 89, à l’orée de l’explosion grunge, les potes de lycée Chris Brady et Charlie Campbell descendent 300 km plus au sud pour s’installer à Seattle plutôt qu’à Portland. Portland où résidaient également Hazel, d’autres glorieux perdants de cette scène autant pourvue en formations légendaires qu’en losers magnifiques.
Sub Pop en a fait un slogan et Loser semblait la parfaite définition de toute une génération de groupes mais contrairement à bon nombre d’entre eux, Pond n’est jamais parvenu — en sept ans et trois albums — à dépasser le statut de (modeste) célébrité locale. Son purement 90s, voix charismatique, mélodies soignées et guitares musclées. Que manquait-il donc à Pond pour crever davantage l’écran ?
Certainement pas les tubes en puissance puisque dès l’entame de ce premier effort, le trio déroule les grands titres avec une certaine insolence. Le riff d’ouverture de « Young Splendor » est de ceux qui replongent 25 ans en arrière et le duo vocal fait fureur. Ce n’est sans doute pas le plus grand des hasards de retrouver ici Jon Auer des Posies à la production. Campbell vient garnir le tout d’un solo tout en feeling et dans la foulée la terriblement cool « Perfect Four » donne envie d’enfourcher le premier skate venu.
Moins sombres que la plupart de leurs concurrents du Nord-Ouest, les trois gaillards aux cheveux courts (ne serait-ce pas là une piste pour expliquer leur manque de reconnaissance ?) n’en demeuraient pas moins de redoutables compositeurs. On songe parfois aux Smashing Pumpkins, la voix de geignard en moins, la nonchalance en plus (« Gone » qu’il convient de fredonner au ralenti).
Percutant d’un bout à l’autre (« Foamy » dont le riff principal pèse son poids), l’album emprunte parfois des voies dérobées bienvenues : le formidable pont d’« Agatha » où la basse s’empare du lead ou ce « Tree » plus insidieux qui évoquera les (Screaming) Trees avec qui ils tournèrent l’année de la sortie de Pond. Un rapprochement pas toujours criant mais qu’on peut ressentir lorsqu’une légère touche psyché s’invite (ce petit salopard de « Spots » dont le riff nous fait frétiller d’emblée). Même lorsque les morceaux marquent moins les esprits, il y a de quoi s’éclater, en témoigne la section rythmique qui groove sec sur « Grinned ».
Il existe ici une unité remarquable et c’est au bien mal nommé « Filler », qui a tout du killer et rivalise avec bien des riffeurs, que revient la lourde tâche de boucler l’affaire. Dans ce concours de bûcheronnage, même Kim Thayil aurait essuyé quelques sueurs froides. Vicieux jusqu’au bout, Pond décélère lors d’un long break proprement jouissif qui semble indiquer le chemin de la sortie avant de nous remettre un dernier coup derrière la nuque.
Si aujourd’hui tout le monde se fout royalement de Pond, il n’est jamais trop tard. Car 27 ans après, les dix titres de ce premier album impeccable passent toujours remarquablement l’épreuve du temps et raviront tout amateur du genre indie/grungy qui a eu le malheur de passer à côté.
Jonathan Lopez
Ceci est un recyclage éhonté d’une chronique parue initialement dans new Noise #55 de décembre-janvier 2020.