Oxbow – Love’s Holiday
On peut lire tout et son contraire à propos du nouvel Oxbow et le fait que tant d’encre coule à son sujet ne doit certainement pas déplaire à ses membres. Cette réception critique en forme de grand écart répond à une certaine logique : quand un groupe doté d’une personnalité si forte prend à rebours avec un disque beaucoup plus convenu, les vieux fans s’émeuvent ou s’insurgent et les anciens circonspects se découvrent une nouvelle passion.
Love’s Holiday est sans conteste moins radical, moins sale, moins complexe que ce à quoi Oxbow nous avait habitués… Est-il pour autant inintéressant ? On n’ira pas si vite en besogne. S’il n’emprunte pas maints détours imprévus, ne sidère pas par ses embranchements et soubresauts, préfère le conventionnel à l’irrationnel, il coche d’autres cases, plus rudimentaires mais appréciables. Des mélodies par exemple, tiens. Les précédents n’en étaient pas dépourvus évidemment mais elles étaient autrement plus dissimulées. Ici elles ne sont plus uniquement dévolues aux plus méritants mais s’offrent au tout-venant. Ce n’est pas interdit tant que ce n’est pas scandaleux.
Et on serait même tenté de dire que tout commence pour le mieux. Le véhément « Dead Ahead » joue les trompe-l’œil. Assagi, Oxbow ? Toujours remonté, oui. Le quatuor file droit, range ses excentricités au placard et fait comme s’il avait toujours pondu des singles sur demande. On repassera pour la singularité mais on cèdera devant l’efficacité. Dans la foulée, Oxbow nous sert un « Icy White & Crystalline » haletant au goût très prononcé de reviens-y, ce qu’on ne manque pas de faire. D’aucuns y entendent du Pearl Jam, ça n’a pas sauté aux esgourdes d’un gars qui en a bouffé plus que de raison mais en tendant davantage l’oreille, ce n’est pas tout à fait infondé. Et fort heureusement, on parle ici du PJ le plus présentable, celui de Vitalogy, sombre et tendu. Ceci dit, ces mots ayant été prononcés, ce rapprochement effectué, on entend d’ici les noiseux purs et durs hurler à la trahison. Ils ont tort. Tout un album de cette tenue et on aurait été bon pour s’incliner. La chute s’annonce beaucoup plus sévère ensuite, Oxbow usant d’artifices plus discutables.
Ainsi, la ballade « Lovely Murk » a de quoi en défriser plus d’un. Pensez donc : Eugene Robinson n’éructe plus, il se pose et s’expose, accompagné de chœurs élégiaques tel un Nick Cave implorant le seigneur, bras en croix, un brin mystique pour ne pas dire illuminé. Ce pourrait être terriblement mielleux et ronflant donc gonflant. Mais ça passe. Pour l’instant. Et ce, malgré la présence de Lingua Ignota qui n’augure jamais rien de bon et incite généralement à la fuite (pour ma part, tenir plus de trois morceaux sur un de ses disques relève de l’exploit). La ballade « 1000 Hours », où l’on croit entendre un Chris Cornell agonisant et où tout semble concourir à nous élever vers les cieux, déboussole par excès de sagesse et propreté, mais se révèle au fil des écoutes assez attachante. Toutes ces supplications ont-elles accouché d’un miracle ? Ou serions-nous simplement devenus des pleutres ? Possible mais ne pousse pas trop le bouchon non plus, Eugene. Eugene n’en a que foutre, évidemment. Et l’humeur est aux chœurs, puissent-ils être dégoulinants. C’est là que le bât blessera. Totalement Cavien à nouveau, « All Gone » en fait des tonnes (cette intro, brrr) et ce qui pourrait/voudrait être d’une infinie beauté n’est que supplice. Dès lors, le déclin est enclenché. Il faut avoir la mémoire bien courte pour considérer qu’Oxbow atteint ici des sommets inégalés d’émotion (entendons-nous bien, rien n’arrive à la cheville des fabuleux « She’s a Find » ou « A Winner Every Time » de l’intouchable The Narcotic Story qui jamais ne nécessitait une telle débauche d’arguments larmoyants pour nous mettre en pièces). « The Night the Room Started Burning » peut toucher ou exaspérer, selon l’humeur du moment. Et on est souvent de mauvaise humeur. Il entérine surtout une deuxième partie d’album rivalisant de lenteur, jouant en permanence la carte de l’émotion, et finit leeeentement mais surement par frustrer. Le parti pris plus lisse et — osons, commercial —, bien casse gueule quand on est parvenu par la force d’albums majeurs à se constituer une fanbase exigeante, semble fonctionner auprès de certains. Tant mieux pour eux. Pour notre part, le bilan, sans être infamant, est insuffisant. Il eut fallu que les morceaux les plus plaisants marquent davantage les esprits et que les plus chargés en enluminures épargnent nos nerfs (parfois mis à rude épreuve). On n’ira donc pas jusqu’à souhaiter que ce disque n’ait jamais existé — certainement pas —, on peut même féliciter Oxbow d’avoir tenté autre chose, avec une certaine réussite, même si ce n’est pas nécessairement sur ce terrain qu’on l’attend. La bonne nouvelle c’est qu’Oxbow ne fait jamais deux fois le même disque.
Jonathan Lopez