Orval Carlos Sibelius – Territoires de l’inquiétude
Un couperet ayant mis fin au trio Poptones, c’est en 2006 qu’Orval Carlos Sibelius réapparait dans un premier temps puis surtout en 2017 avec un LP (Ordre et progrès, son 4e déjà), signé chez Born Bad, relativement peu relayé sur les médias, mais qui ouvrait la voie vers un songwriting savamment élaboré. Un autre album suivra (Smulkios Detalés), disponible uniquement en format cassette.
Avec Territoires de l’inquiétude, Orval ne tourne pas en rond, mais saisit chaque sujet pour le transcender en quelque chose de surréaliste. « Vinyle » en est à ce titre l’illustration. Aux images d’un clip ingénieux (Axel Monneau – son vrai nom – fut auparavant projectionniste), se succède l’histoire autour de l’objet en question (78 tours), et toute une panoplie de références où mots et cinérama sont en adéquation. N’y cherchez pas de comparaisons hâtives aux oripeaux bariolés du flower power ou de raccourcis nostalgiques d’un passé irrémédiablement perdu, on navigue ici dans une mélancolie graduelle. « Qui veut détruire le système commence par soi-même », tel est le postulat de cette œuvre sagace, celle d’un chevalier enjambant son époque pour en prendre la tangente, par l’adjonction d’instruments baroques aux claviers analogiques. Ce qui pourrait être risqué ne l’est plus, les textes en français se greffent comme les pièces d’un puzzle. « L’origine de nos viandes » qui inaugure l’album, est la pièce parfaitement huilée qui permet à la machine de fonctionner. On a l’impression de réécouter Robert Wyatt ou Etienne Charry (Aube Radieuse, Serpents En Flammes). Le fil conducteur de ces territoires explorés, passés au vitriol, oblige l’auditeur à se concentrer sur les textes, tout en dissociant les tissages mélodiques qui tapissent les murs de l’inconscient.
Du capitonné, on passe au sublime « Sérieux tu crains » dont les synthés enrobent la voix d’Orval, changements de tempos, modulations majeures et mineures, un croisement comparable au génie de Brian Wilson des Beach Boys et aux architectures de Bernard Fèvre. Les titres filtrent le spleen pour en distiller la liqueur des sens. « Dernier contact » est une savoureuse bravade au modernisme déconnecté de ses propres circuits. Le talent d’Orval Carlos Sibelius est irréfutable. On se surprend à redécouvrir notre propre langage.
C’est en cela qu’Orval Carlos Sibelius appartient à ces compositeurs contemporains dont l’art du bidouillage tend à l’orfèvrerie. Le jour de la parution de cet étrange album, le titre « Les humains d’abord » est illustré de la scène finale inédite du film Phase IV de Saul Bass. Le crédit de chaque musicien ayant participé à l’enregistrement y est d’ailleurs mentionné avec une simplicité non dépareillée d’un certain humour.
Franck Irle