Nine Inch Nails – Hesitation Marks (Columbia)
Il fut un temps où l’annonce d’un nouvel album de Nine Inch Nails aurait provoqué l’euphorie, l’achat convulsif sans écoute préalable, avec la quasi certitude d’avoir entre nos mains un album culte. Deux raisons à cet engouement, d’une part l’attente pouvant aller de 5 à 6 ans entre chaque album et d’autre part la qualité indéniable des premières productions de son génie créateur Trent Reznor. Une époque où tout semblait réussir à l’artiste (succès critique de la part des médias, fidélité inconditionnelle de ses fans, succès commerciaux, liberté artistique…) Malheureusement l’homme semblait horriblement affecté psychologiquement, souvent proche de l’autodestruction, des traumatismes qu’il laissait échapper à travers sa musique et ses textes, leur donnant une force émotionnelle incroyable et domptable par l’auditeur.
Nine Inch Nails est devenu à juste titre la référence ultime du Métal Industriel dans les années 90, de Pretty Hate Machine à The Fragile, en passant par le cultissime The Downward Spiral. Un engouement qui s’est peu à peu terni avec le temps ; le tant attendu With Teeth (2005), après six ans de silence studio, avait pour la première fois été en-deçà des espérances. Moins expérimental, moins torturé, et plus accessible que ses prédécesseurs, de quoi s’attirer les foudres des médias et la déception des fans. Un jugement assez dur pour un album qui offre de très bons titres, et qui avec le recul prend du sens dans la discographie de Nine Inch Nails et dans l’état d’esprit de Reznor qui sortait enfin de ses périodes les plus sombres. Les productions suivantes sont plus brutes, plus spontanées, un changement radical appuyé par la fréquence de sorties d’albums : quatre entre 2005 et 2008.
Si le perfectionnisme du personnage transparaît à travers l’ensemble de sa discographie, cette suractivité artistique a malgré tout contribué à donner moins d’attrait à ses œuvres.
Et lorsque Trent offrait une ultime tournée d’adieu à ses fans en 2009, beaucoup, moi le premier, se sont rués pour le voir ou revoir sur scène une dernière fois, car si il y a une chose que l’on ne peut reprocher à cet homme c’est bien ses prestations scéniques. De quoi en prendre plein les oreilles et plein la vue (et ce n’est pas sa dernière prestation à Rock En Seine qui nous a fait changer d’avis).
Et en mai dernier, vlà-t’y pas que Nine Inch Nails annonce son retour en studio avec une sortie prévue pour septembre, après n’avoir rien pondu pendant 5 ans. L’album s’intitule Hesitation Marks, la jaquette n’est pas sans rappeler celle de The Downward Spiral. Idéal pour attiser la curiosité.
Après une première écoute assez furtive, je n’étais pas très emballé ni inspiré par son contenu : quelques titres assez pêchus proche du meilleur de With Teeth, mais sans effet de surprise, ajouté à un manque d’homogénéité de l’ensemble. Or il s’agit de NIN, pas très facile d’accès donc on réécoute avec attention.
D’abord vous pouvez zapper l’intro sans intérêt « The Eater Of Dreams », c’est « Copy of A » qui ouvre réellement le bal. Marqué par un tempo électro très rapide, la voix de Trent nous rappelle que nous écoutons Nine Inch Nails et non pas du Chemical Brothers. Si le titre surprend de prime abord, il se révèle finalement très addictif et a tout pour devenir un moment fort en live.
« Came Back Haunted » nous replonge dans l’époque With Teeth, il s’agit d’ailleurs du 1er single dévoilé avant la sortie de l’album, un morceau qui nous avait fait bonne impression.
« Find My Way » explore le coté le plus obscur de NIN, la voix de Trent reflète la mélancolie. Une instrumentalisation plutôt minimaliste avec un effet planant, embelli par les quelques notes de pianos qui accompagnent Trent sur le refrain.
Un début plutôt rassurant. « All time Low », qui aurait pu être l’hymne sexuel de cet album, et du coup la petite sœur de « Closer », dans un rythme quasi similaire d’ailleurs, va vite vous faire déchanter, vos ébats vont couper courts arrivés au refrain. On frôle la catastrophe.
S’en suit « Disapointed ». On a affaire là à un chant plaintif de Reznor, ne se serait-il pas débarrassé totalement de ses vieux démons ? En tout cas ce titre s’incorpore très mal entre « All Time Low » et « Everything ». Ce dernier se veut beaucoup plus lumineux avec des guitares qui donnent un coté New Wave plutôt agréable. Dans la même lignée positive on trouve le titre « Satellite » qui scintille sous la superposition d’instruments et d’effets sonores, on imagine tout le travail derrière et l’exigence de Reznor, pour arriver à un résultat d’une telle qualité. « Various Methods of Escape » n’est pas en reste, et s’enchaîne bien avec les deux titres précédents. Comme souvent les bonnes choses ont une fin, et pour l’instant Hesitations Marks ne semble pas vouloir décoller car trop inégal. « Running » est tout simplement insupportable, et casse le bon rythme initié timidement par « Everything ».
S’il y a un titre qui a su me séduire totalement sur ce nouvel opus, c’est bien « I Would For You ». Cette énorme basse qui vient se coller aux percussions fait froid dans le dos, Reznor y déploie là sa plus belle intonation de voix, le titre est pourvu d’une originalité surprenante, le seul pour lequel je n’ai pas eu la sensation de déjà entendu. Tellement appréciable que je préfère le réécouter que de m’infliger le triste trio final de cet album « In Two », « While I’m Still Here », « Black Noise ».
Cette marque d’hésitation au premier abord s’est donc confirmée avec une écoute approfondie. Hesitations Marks est disparate, si quelques titres sont bons, ils ne le sont pas suffisamment pour combler les plus mauvais. Il faut à mon sens retenir de cet opus l’enchainement « Copy of A » – « Came Back Haunted » – « Find My Way », puis « Everything » – « Satellite » – « Various Methods Of Escape », pour finir avec une mention spéciale pour « I Would For You ». L’autre moitié est à mettre aux oubliettes.
Trent Reznor en seul maître à bord d’un navire nommé Nine Inch Nails avec qui il a bravé les tempêtes et évité les naufrages durant des décennies, est arrivé au port de justesse ce coup-ci. On connaît les qualités intrinsèques de ce Monsieur ; multi instrumentiste, au perfectionnisme débordant, producteur aguerri, soucieux du moindre détail, adepte des nouvelles technologies, mais dont le génie créateur a semble-t-il trouvé ses limites.
JR