Naked Lungs – Doomscroll

Publié par le 9 septembre 2023 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(Autoproduction, 18 août 2023)

Il y a d’abord ce tableau hallucinant annonciateur d’un chaos indescriptible. Et on ne tardera pas à vérifier qu’il illustre parfaitement le contenu du disque. Le premier album du quatuor noise irlandais est un colossal coup de massue. Si puissant et impressionnant qu’il nécessite un temps d’acclimatation, pour s’apercevoir que tout n’est pas que hurlements et sévères remontrances, loin s’en faut. Le débit lapidaire et désabusé à la Mark E. Smith sur les couplets du premier morceau (« Gack ») était d’ailleurs une première indication. Mais ces jeunes gens aiment salir tout et les contrepieds sont légion, les déflagrations aussi soudaines que dévastatrices.

Doomscroll est un disque d’une intensité suffocante qui vous plonge dans un inconfort permanent, porté par un chanteur habité, prénommé Tom Brady, au charisme fou. Comme lorsqu’il semble cavaler hors d’haleine, poursuivi par des instruments en furie sur « Second Song », ose un « STOP! Hear the drums, as my moment comes… ». Comme s’il parvenait à conserver le contrôle en toutes circonstances quand n’importe qui se serait trouvé submergé face à une telle déferlante. Chacun rentre alors dans le rang, avant un nouveau sursaut hystérique. Et ainsi de suite. De moments comme celui-ci, d’inspirations venues de nulle part, Doomscroll en regorge. Son apparence de gros bloc de béton arrivant à toute vitesse sur nos faces peut rebuter les couards. Ils auraient tort de ne pas insister.

Parfois, tout s’arrête, une mue s’amorce et on quitte durant quelques précieuses secondes cette noise viscérale pour des éclairs mélodiques surgissant des pénombres. Naked Lungs aligne les morceaux dantesques, à l’image du phénoménal « Shell » (à qui on a semble-t-il ajouté un S par inadvertance), parfaite alternance entre l’anarchie la plus totale, la désolation et de sublimes accalmies. Sur le final, Brady met en pièces ses cordes vocales. C’est beau et violent, crasseux et réconfortant. Une fois encore, cette pochette, la dimension religieuse qu’elle implique, ce combat permanent, cette fatalité qui s’abat sur nos maigres épaules, s’apparente au choix idoine. On peut entendre quelques similitudes avec Gilla Band (le bassiste Daniel Fox a d’ailleurs enregistré et mixé l’album) même si on n’a jamais rien entendu de si radical de leur part.

Outre ce chanteur fou, il convient évidemment de saluer la cohérence du quatuor, sa titanesque section rythmique et ce guitariste, Andrew Connaughton, qui fait surgir plus souvent qu’à son tour les flammes de l’enfer de son instrument. À mi-chemin, plus de calcul, « Outcome » sort la machine à broyer les os. Dans la foulée, les Irlandais dégainent l’irrespirable « Pressure », monstrueux déferlement de violence incluant même un court solo, cacophonique en diable. Vous avez dit oppressant ? Rien qu’un brin. Et après le déluge, comme pour nous féliciter d’avoir tenu bon après avoir tant vacillé, Naked Lungs relâche un peu l’étreinte, d’abord avec un « Database » ouvertement post punk, tout en conservant une vitalité à toute épreuve (« OPEN THE GATES and RUN, RUN, RUN, RUN! »), puis surtout un « The Garden » tout ce qu’il y a de plus mélodique (voire mélancolique, si si !) qui en décontenancera plus d’un. On s’est éclatés comme des petits fous, notamment grâce à lui, et sur le superbe « Boo Boo » final, Tom Brady nous souffle le plus sérieusement du monde : « I’m not having a good time ». On se demande bien ce qu’il lui faut.

Jonathan Lopez

1 commentaire

  1. un petit gout de daughters. ca fait plaisir

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *