Mudriver – Mudriver EP
S’il y a une fin et s’il est possible de l’atteindre, il faut passer par des tribulations. Avant que le passage du temps n’élimine cette fatalité, il nous faut parfois revenir au bord du gouffre pour mieux percevoir d’où l’ont revient. Extraire de la glaise sa propre matrice, creuser dans les sédiments pour y trouver son âme. Remonter à la surface, comme des bulles échappées d’un cloaque.
Fleurs parsemées, vénéneuses et captivantes à la fois, dont les couleurs s’évaporent et dont le sang se fond dans la nuit, nous voilà conviés dans un jardin où à peine entrés, surgit cette étrange sensation, proche d’une fièvre animale. « Halfway Nowhere » vient vous écraser avec un sludge granuleux, hypnotique et cette atmosphère métaphysique est d’autant plus accentuée par le chant incantatoire d’Aurélien Boyer. La musique du trio dracénois explose des haut-parleurs avec une dynamique énorme, jetant le canapé par la fenêtre et vous projetant au plafond.
Il n’y a pas l’ombre d’un repère, au contraire il faut se perdre une fois cette porte franchie, pour se laisser dériver. Le monde extérieur n’existe plus. C’est certainement avec « Hate You » que ce sentiment tragique et personnel, devient en même temps universel. Le titre lance ses flèches de dissonances, et les mots une fois prononcés, se dissolvent dans une viscosité volcanique. Des scories dépouillées jusqu’au silence absolu se reconstruisent des stridences s’enroulant comme des serpents en flammes.
C’est à ce moment que tout s’effondre, il ne reste que la rouille, et un tissage de guitares entremêlées. La lumière s’éteint soudainement, et le voyage reprend, sans fin. « Never End » est un flux continu aux multiples courbures, un mouvement perpétuel qui recommence à chaque fois d’où il s’est apparemment terminé. Il n’y a ni tragédie ni théâtralité, tout y est exprimé objectivement d’un pas démesurément lourd et puissant.
Mudriver signe un album au rang de manifeste résolument grunge, une confession introspective de douleurs couchées sur un parchemin. Le mastering de Jack Endino tout comme la production de Sébastien Bill Gros, sont édifiants, tant l’équilibre de chaque instrument est préservé, dilaté. « Somehow » qui conclut le disque est traversé par des éclairs de dépression. C’est en tout cas cet état de mélancolie profonde qui se dégage de ces 5 titres.
Franck Irle