L&S – When the Vowels Fall
L&S est la rencontre du musicien Anthony Laguerre avec l’ancien membre et fondateur de The Ex, le chanteur G.W. SOK. Sept ans après avoir échangé quelques passes d’armes sur le dernier album du groupe Filiamotsa, les deux musiciens ont joint leurs forces autour d’une même volonté de proposer une œuvre musicale radicale. Une œuvre lettrée, poétique et politique, dans laquelle une place sera faite aussi bien au post-rock électrique qu’à la musique symphonique, par le biais de l’orchestre du Gradus Ad Musicam (GAM), conduit pour l’occasion par le chef d’orchestre François Légée. Participeront également au projet, Jean-Michel Pirès à la batterie (The Married Monk, Mendelson, Bruit Noir) et Eric Thomas à la guitare.
When the Vowels Fall, premier album sous le nom de L&S, est une création ambitieuse, soignée, souvent proche de l’univers des Bad Seeds et de Tindersticks. On peut également y voir un écho déformé à la musique de Swans ou encore à celle de CAN. L’atmosphère peut passer, dans une même chanson (« Medicine », par exemple), de l’intime le plus maussade à la colère la plus sourde, avec une perversité de dandy désabusé. Au travers de l’orchestration, qu’elles soient au premier plan ou simplement en filigrane, nous percevons des tensions vives tout au long de l’album. Ces tensions serviront de colonne vertébrale à la structure du disque et auront pour point d’orgue l’insoutenable « Can’t Breath » qui, sur une rythmique enlevée et dense comme une crosse, verra G.W. SOK déclamer les dernières paroles prononcées par George Floyd alors qu’il était sur le point de succomber à l’explosion de violence de la police. L’expérience est éprouvante. L&S parvient à retranscrire l’horreur qui a bouleversé tant de monde avec une acuité dont on se serait presque passé. Difficile de refouler sa colère tant l’interprétation de SOK donnent à sentir le pathétique de la tragédie et l’impuissance face à un fait qui, s’il reste divers, n’en demeure pas moins inacceptable. La connaissance, même lointaine, que nous avons de l’événement nous connecte de facto avec la matière impalpable du morceau et lui donne une dimension profondément douloureuse.
La question se pose de savoir si un ravi de la crèche bravera le ridicule et les accusera d’appropriation culturelle. Gageons que L&S n’aura pas suffisamment de succès pour justifier un buzz qui aura toutes les chances, espérons-le, de faire un flop, mais ne présumons pas outre mesure.
Avant ça, revenons en arrière sur le titre « Down Goes to Blues », où nous étions déjà malmenés et caressés à rebrousse-poil dans un cloaque baroque et labyrinthique, lourd de menaces, hanté, toujours, par la voix tour à tour intense, et comme dissolue de SOK. Sa poésie, pourtant réaliste, suscite une inquiétude qui ne l’est pas. Sur le très sombre « For You My Love», une scène naturaliste se transforme petit en petit en cauchemar marécageux non dénué d’humour. Idem sur « Krant & Schaar » qui nous évoque des contes anciens de la vieille Europe. Le chant en hollandais n’est pas étranger au sentiment de se retrouver sur les mêmes planches que certains héros d’Herman Hesse ou de Gérard de Nerval.
Si When the Vowels Fall, ne se livre pas facilement, son impact est en revanche immédiat, et son écoute passionnante. La tension et la sécheresse qui le caractérise, conjugués à l’interprétation sibylline, hors sol, de SOK, et à la musique bouleversante de Laguerre, en font un objet de curiosité incontournable. Nous tenons l’un des meilleurs disques sortis cette année dont les écoutes prolongées n’ont fait que renforcer notre opinion à son sujet. Il ne nous reste plus qu’à espérer le voir rapidement transposé sur scène.
Max