Alice Cooper – Love It To Death/Killer (Straight)
De deux choses l’une. En cliquant sur ce lien, vous connaissez déjà les deux albums dont il est question, vous savez ce qu’ils ont de géniaux et ça vous parait tout à fait logique que nous y consacrions un article pour leur anniversaire. Auquel cas, je peux vous épargner la lecture de la suite : je ne vous apprendrais rien en vous disant que ces disques sont parmi les plus grands de l’histoire du rock et que je vous encourage à continuer de les écouter.
Peut-être, en revanche, que vous vous êtes dit “Alice Cooper, le gars de Wayne’s World ?” ou pire (parce qu’on fait pire comme référence que Wayne’s World, je vous l’accorde), et là il est impératif que vous lisiez ce qui va suivre. Je ne vais pas m’énerver, j’explique.
Alice Cooper, avant d’être l’homme au serpent et au maquillage noir qui a influencé Marilyn Manson, c’était un groupe. Un groupe de rock, tendance psyché arty californien, pour être précis, avec des vrais bouts de Syd Barrett ou des Beatles dedans. Poulain de Zappa, le groupe originaire de Phœnix dans l’Arizona signe sur son label pour deux premiers albums au succès mitigé. En parallèle, il se forge une solide réputation sur scène, proposant des concerts déjantés dont le plus tristement célèbre fut celui de Toronto en 1969, où le massacre inopportun d’un poulet par le public donna lieu aux plus folles rumeurs de rituels sataniques occultes. D’où la légende selon laquelle on égorge des poulets dans les concerts de metal.
En 1970, la bande s’installe à Détroit, qui voit à l’époque l’émergence d’une scène rock bouillonnante au son direct et cru dont les deux représentants les plus emblématiques sont le MC5 et les Stooges. Cette ville n’est certainement pas étrangère au changement qui s’opère dans la musique d’Alice Cooper. Leurs compos psychés, arty, sous-acide se muent en morceaux rocks incisifs et imparables. C’est la formule qu’on retrouve sur Love It To Death.
En moins de 40 minutes, Love It To Death est une véritable leçon de rock’n roll. Il n’y a pas grand chose à dire : peu d’albums sont aussi parfaits. Bien sûr, il y a le tube irrésistible “I’m Eighteen”, mais le reste est varié, allant du trip sexy avec “Is It My Body ?” à la messe noire inquiétante de “Black Juju”, en passant par l’accalmie métaphysique sur “Second Coming”, les frontières de la folie (“Ballad of Dwight Fry”) et même une incursion dans la World Music avec la reprise de “Sun Arise” (Rolf Harris). Chaque titre est excellent et le disque peut s’écouter en boucle pendant des années sans jamais se lasser. J’en suis la preuve vivante. Peu de groupes peuvent se vanter d’avoir fait un album aussi bon. Si bon qu’après ça, on peut prendre sa retraite définitive et quand même entrer dans la légende.
Au lieu de ça, Alice Cooper remet le couvert 8 mois plus tard avec Killer. Avec cette pochette qui montre un serpent en gros plan, on pourrait s’attendre à du gros hard qui tâche. Pourtant, même si le son de Detroit incorporé à leur musique glisse tranquillement vers le hard rock, on est bien loin du hard FM moisi de “Feed My Frankenstein”. Là encore, on n’atteint pas les 40 minutes, mais la plupart des morceaux sont fabuleux.
Allez, je dois reconnaitre, même si ce n’est que mon avis, que l’ensemble se tient moins bien que le précédent, et que certaines longueurs apparaissent. Ceci dit, le disque compense en offrant des moments de bravoures d’une intensité folle. Peut-on faire meilleure intro que “Under My Wheels” ? A-t-on fait un morceau aussi réussi avec le riff de “Sweet Jane” que “Be My Lover” ? Et là, ce sont encore des morceaux assez classiques. Le groupe se permet d’innover avec succès. Ici, une relecture de la musique de King Crimson en moins chiant avec “Halo Of Flies”, qui s’enchaine parfaitement avec l’hommage à Jim Morrison “Desperado” ; pour un peu, on se croirait en plein désert au milieu d’un western crado à la Sergio Leone. Là, un morceau qu’on pourrait qualifier de Doors en plus sombre, et là encore en moins chiant, qui sert de conclusion à l’album (“Killer”). Entre les deux, l’un des meilleurs titres d’Alice Cooper, que dis-je, du monde entier, voire de tout l’univers connu (et même inconnu, mais on manque de preuves), à savoir “Dead Babies”. Une ligne de basse parfaite, une ambiance lourde, et une petite mélodie pop pour traiter d’un sujet grave, la négligence parentale.
Avec Killer, le groupe s’affirme et propose le meilleur des deux mondes entre leurs influences arty et le son brut de la ville de Détroit. Love It To Death était parfait mais peut-être un peu classique, Killer est plus expérimental mais perd en perfection. L’un dans l’autre, on peut tout à fait s’écouter les deux d’affilée.
On pourrait s’amuser à faire la liste des groupes qui ont réussi un doublé d’exception, à sortir coup sur coup deux albums parfaits, qui se complètent l’un l’autre et qui, pris à part, vous laissent sur le cul. On peut redouter, en revanche, que la liste ne serait pas bien longue. Si aujourd’hui, le parcours solo d’Alice Cooper a fait perdre beaucoup de crédibilité à son ancien groupe, il n’empêche que le diptyque Love It To Death/Killer n’a rien à envier en intensité à un autre qui m’est cher The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars/Aladdin Sane. La comparaison n’est pas innocente, et les points communs entre Bowie et ses Spiders From mars et Furnier/Cooper et son groupe sont bien plus nombreux qu’on le croirait au premier abord. Pour moi, ils sont les seuls représentant du glam à l’américaine, plus sombre et grand-guignol, moins pailleté que sa version britannique, mais tout aussi grandiose.
Laissez donc de côté vos préjugés, écoutez ces disques. Encore et encore. 45 ans après, ils n’ont pas pris une ride.
BCG