Louis Jucker & Le Nouvel Ensemble Contemporain – Suitcase Suite

Publié par le 17 septembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Hummus Records, 15 septembre 2023)

Parmi la flopée de nouveautés de ce mois de septembre, en voilà une qui mérite une attention particulière. On avait déjà évoqué le Suisse Louis Jucker en 2020 (avec l’album partagé avec son groupe Coilguns, Krakeslottet). J’ai pu l’apercevoir en concert cette année en première partie des (formidables) The Psychotic Monks et constater que le personnage est aussi attachant que talentueux. Pour situer, sur sa page Bandcamp, il est présenté aussi bien en singer/songwriter qu’en activiste punk. Il a également co-fondé le label Hummus Records… qui édite ce Suitcase Suite surprenant. 

Il s’agit d’une collaboration au long cours (le projet est monté en 2019) avec cinq musiciens regroupés sous la bannière « Le Nouvel Ensemble Contemporain » (Noëlle-Anne Darbellay, Antoine Françoise, Jean-François Lehmann, Julien Mégroz, Noëlle Reymond). Mais à côté de la musique, Louis Jucker aime aussi chiner des objets, notamment… des valises et bricoler à ses heures perdues. Vous allez me dire : la belle affaire ! Et bien, tel un Géo Trouvetou adepte du DIY, il a donc fabriqué les instruments et le matériel d’enregistrement, le tout transportable dans les fameuses valises que l’on peut apercevoir sur l’artwork du disque ! 

Et comme l’exhibe fièrement les crédits de l’album :

All songs written and recorded using homemade suitcase instruments. 
All effects, sound treatments and distortions created with suitcase instruments.

Voila une démarche peu banale. Le résultat est en tout cas à la hauteur du défi. Sept titres entre folk minimaliste, musique concrète et une électro organique que n’aurait pas renié un Stereolab. Mais à la place des claviers vintage et de la vibe lounge, on a donc un bric-à-brac sonore que l’on peut voir en action dans le clip du dernier titre. Le formidable « March of the Fallen Scions » qui se déploie lentement, valise par valise, son par son. Ici une machine à écrire robotique, là un xylophone, des claviers ou les ondulations sonores que l’on obtient en jouant avec les potards d’un delay. Electro rétro-futuriste de seconde main. Sur « My Windy Heart », on en serait presque à convoquer l’esprit d’un célèbre quintette d’Oxford et leur « Like Spinning Plates », excusez du peu. Il y a un grain particulier dans le son de ce disque, comme si chaque instrument, chaque valise trahissait son âge, sa conception plus ou moins sommaire, loin, bien loin des productions aseptisées qui dénaturent souvent l’idée que l’on peut se faire de la musique. Une matière organique sculptée avec minutie par plusieurs mains habiles. Sur « Seasonable », les instruments boisés (clarinette, hautbois ?) se confondent aux bribes d’électronique, et seule la guitare, d’un motif inquiet et répétitif semble faire figure de phare au milieu d’éléments nébuleux. Le duo guitare-voix de Louis Jucker est souvent le fil rouge mélodique comme sur « First Count », où la six-cordes parait gambader au-dessus d’un motif métronomique et du brouillard électrique à l’arrière-plan. Ou « On their Knees » qui commence presque comme la caisse enregistreuse du « Money » des Pink Floyd, et dont les nappes synthétiques se font à nouveau plus insistantes, un bip insistant nous sortant de la rêverie et nous rappelant à notre (dure) condition d’humain. Deux titres sur la fin pourraient à eux seuls résumer la diversité de cet album. Tout d’abord le synthétique « Asylee » dont la pulsation électronique et les claviers emplissent un espace sonore tremblant durant sept minutes. 

Mais c’est dans un plus simple appareil que « The House We Let Them Take » offre ensuite, a contrario, un écrin intimiste à la voix délicate de Louis Jucker qui égrène doucement un instrument que je ne peux identifier. Dans le clip, on le voit ainsi courbé sur cette valise-lyre (?) si proche qu’il nous semble entendre sa voix dans le creux de notre oreille, sentir ses doigts effleurer notre chair de poule de quelques accords simples. C’est beau.

On espère maintenant que le Suisse et le Nouvel Ensemble Contemporain fassent vite leurs valises pour venir nous rendre visite sur scène. Et nous offrir un beau voyage sonore.

Sonicdragao

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