Last Train – III

Mon premier contact avec ce nouvel album de Last Train date d’il y a déjà six mois. Répondant à une annonce du groupe sur les réseaux, je devenais une des ombres, apparaissant furtivement, dans le clip de « Home », réalisé par Julien Peultier, l’autre guitariste du quatuor. Premier single pour ce disque sobrement intitulé III. Lors de cette longue après-midi de tournage, les 77 figurants présents avaient également eu le privilège de découvrir trois titres en avant-première. Soit un peu plus du tiers de son contenu (huit pistes + un interlude). Suivant, en voisin, le destin du quatuor haut-rhinois depuis 2016, autant dire que je savourais la chance. (Comme dirait Djamil le Schlag: « ouais, je suis fan ! »).
Le premier extrait écouté, « Home », est donc le titre inaugural de cet album. Il constitue un témoignage plutôt fidèle de la tonalité générale de ce disque. Tout en dessinant un trompe-l’oeil que l’on percevra plus distinctement après plusieurs écoutes. La pulsation sourde et la voix fragile de Jean-Noel Scherrer dessinaient une menace à peine voilée. La tension finit (vite) par exploser au son de guitares qui percent par surprise, et moult coup de boutoirs, l’espace sonore. Le titre le plus noisy du groupe flirtant presque avec des sonorités métalliques indus. Surprise totale à la première écoute de ces six minutes.
« There’s no place I can call home »
III – dont le nom confirme donc que le projet précédent, Original Motion Picture Soundtrack, était plus un pas de côté du duo Jean-Noel Scherrer-Rémi Gettliffe (le producteur habituel des alsaciens) featuring les musiciens de Last Train – revient aux racines rock du quatuor. Rompant ainsi avec l’aventure symphonique précitée et délaissant (quoique) les envolées épiques de The Big Picture, leur (formidable) deuxième album. Des titres bruts, une production rêche et sans fioritures, pour des chansons plutôt directes, riffs en bandoulière… parfaitement taillées pour la scène. Restée orpheline du quatuor depuis deux ans. Une éternité à leur échelle. Ainsi, les deux autres singles, « The Plan », le titre le plus court (et un poil faible) du disque, et « One by One », bien plus consistant, efficaces en diable, auraient tout aussi bien figuré sur Weathering, le premier disque de Last Train. Où l’on percevait encore quelques influences mal dégrossies.
Mais ce serait sans compter la maturité acquise par un groupe dont la bromance musicale a débuté sur les bancs du collège. Fort de l’intense expérience (émotionnelle) de The Big Picture, dont les titres flirtaient parfois avec les dynamiques abruptes du post-rock, le quatuor use parfaitement de l’art du crescendo et nappe toujours habilement de silences intenses sa musique. Sur « This Is Me Trying », même le chant de Jean-Noel Scherrer, brut, et très, très loin dans le mix, semble vouloir s’effacer derrière la musique. Et l’on retrouve alors avec plaisir la patte mélodique et poignante du quatuor au gré de guitares claires plus minimalistes. Le dépouillement est également de mise sur le début de « How Does It Feel », où Jean-Noel Scherrer, au piano, s’essaye, petite nouveauté, à un falsetto inattendu. On jurerait entendre Other Lives. Le tempo est lent (l’intro de batterie rappelle même le début de « Strike » des Thugs) mais des guitares tendues finissent par porter ce titre vers un des sommets du disque. « All To Blame » voit ensuite le retour d’un Last Train plus hargneux. Basse en avant, chant de petite frappe, tempo qui s’affole, guitares cinglantes.
« Another miserable day of slogging through this century
I heard we’re all in this together,
That everyone is guilty,
Guided by the laws of motion,
The world is changing, forget your salvation »
Le tiers central du disque est le plus réussi avec ce « This Is Me Trying » qui arrive pile à mi-album. Renouant avec l’atmosphère épique des meilleurs crescendos de The Big Picture. C’est beau. « Revenge » semble ensuite presque le jumeau de « How Does It Feel ». Piano song sur le début, à nouveau ce petit falsetto vocal, et un nouveau roller-coaster émotionnel. Le frisson. Le tracklisting joue à plein la carte de la bipolarité, si bien que l’auditeur est agréablement désarçonné. On retrouve donc ensuite le plus énervé et triomphant « One by One » que des fans pointilleux de Nine Inch Nails trouvent (très) proche de « The Collector » dans les commentaires du clip. On a fait pire comme référence cela dit. Une influence sans doute pas étrangère à un duo final plutôt évocateur. Un interlude d’une minute intitulé « You’ve Ruined Everything » servant d’introduction au plus long titre du disque, « I Hate You », débuté calmement à la guitare acoustique. Mais qui règle ensuite froidement quelques comptes à coups de guitares distordues.
À la fin du docu-série consacré à l’aventure du projet Original Motion Picture Soundtrack, le quatuor avait habilement teasé ce disque comme un retour aux sources et à l’énergie live chère au groupe. Ce troisième disque n’enfonce pas complètement cette porte classique. Les haut-rhinois ayant eu le bon goût de dissimuler dans ce récit et leur disque quelques pépites du meilleur cru. Laissant à leur musique l’espace et une mélancolie épique qui leur sied parfaitement. Ajoutez à cela que le groupe jouit de la liberté artistique totale conférée à ceux qui prennent leur destin en main. (Et ce qui ne gâche rien, ce sont de vrais nice guys). Il est toujours bien là le Rock Indé français en 2025 !
(Et Vive l’Alsace !)
Soncdragao