Jerry Cantrell – I Want Blood
Passez suffisamment de temps avec un album au fil des années, vous constaterez que celui-ci s’est intégré dans votre vie, d’une manière qui transcende l’appréciation immédiate de la musique. Des souvenirs privés rattachés à des œuvres antérieures, dont on redécouvre parfois quelques imperfections attendrissantes et certains détails avec des tangentes bizarres qui se présentent à mesure que l’on réouvre les tiroirs du temps. Si Boggy Depot s’était avéré quelque peu inférieur à Degradation Trip, Jerry Cantrell n’est pas du genre à se laisser contrarier. Pour mémoire, Jerry avait déclaré lors d’une interview accordée à New Noise et Exitmusik : « Faire un album est toujours intéressant pour moi, je ne planifie rien : je savais simplement que je voulais sortir un disque, point barre. »
Dans l’ensemble, c’est l’histoire qui a été propagée par les rétrospectives antérieures, reliées aux anecdotes des sessions d’enregistrement d’Alice In Chains ou aux références des albums solos de Jerry. Si Brighten préfigurait un tournant musical par ses aspects folk, I Want Blood est clairement un manifeste. Si l’on s’en tient à la pochette où apparait le visage déformé de son auteur, nulle trace d’hémoglobine en apparence. En parallèle avec le réel incarné dans chaque parcelle de nos vies, le titre prend une autre signification. De nos corps décharnés où ne subsiste qu’un épiderme défraîchi, seul le sang est censé nous revigorer, encore faut-il que celui-ci soit un carburant. « Vilified » restitue la couleur sonore des débuts d’Alice In Chains par sa talkbox accordé en Drop Ré Bémol (un demi-ton en dessous). Les harmonies vocales sont d’une justesse telle que l’on pourrait presque y entendre la voix plaintive de Layne Staley en arrière-fond.
« Afterglow » incarne justement cette amorce, via ses riffs et ses soli appuyés par une rythmique pied au plancher. Parler de grunge serait hors-sujet, on retrouve cet aspect sonore antérieur aux 90s, Jerry joue avec les intervalles tierces et quintes que l’on attribue souvent au vieux heavy metal. Les invités sur ce disque (Mike Bordin, Duff McKagan, Robert Trujillo et Greg Puciato) ont tous apporté leurs ingrédients. Et cela s’entend dans « Off the Rails », désenchanté au possible, mais c’est sur le titre « I Want Blood » que Jerry sort de ses gonds, foutrement punk par son introduction noisy et ses guitares somme toute inhabituelles, et c’est en cela que l’album se distingue, la voix saturée de Cantrell dévoile tout un pan d’influences différentes de celles qu’on lui attribue généralement.
Parmi les neuf titres, il faut notamment mentionner « Echoes of a Laughter » extrêmement mélancolique, dont le clip rappelle le graphisme intérieur de l’album tripod d’AIC. Ce riff obsédant ne s’éternise jamais, il en est même viscéral, avec un solo qui ferait dresser les poils d’un imberbe. « It Comes » avec ses arpèges sinistres, est le final qui couronne l’album, la voix de Jerry Cantrell n’a rien perdu de sa superbe. La noirceur domine sur le pourpre. Jerry revendique sa distance avec les majors, et clame sa liberté. Voilà un mois que l’album est sorti, le temps pour chaque titre d’être coagulé avec les autres et nous ne faisons qu’entrer dans son univers après plusieurs écoutes, ce qui réitère ce besoin de vibrer, de vivre et d’être réanimé.
Franck Irle