Jack White – Fear of the Dawn
Il était une fois le petit Jack White. Au début, il avait une guitare et une batterie… et Meg White (sa compagne de l’époque) derrière. Comme leur affaire démarrait plutôt bien, il s’est acheté plein de pédales ensuite pour gonfler son blues rock et faire plein de soli stridents (il aime bien Led Zep). Il a pondu ensuite un tube interplanétaire par accident avec un morceau moyen (celui qui demande le titre est banni de la galaxie). Comme à deux, on s’ennuie vite et que le Jacko est du genre hyper-actif, il s’est aussi entouré de musiciens dans deux autres groupes. Entre 1999 et 2010, il aura sorti 10 albums entre les White Stripes, Dead Weather et The Raconteurs ! Puis, entre 2010 et 2018, seulement 5 albums dont 3 en solo ? Il ralentit ? Il a monté en parallèle son label, Third Man Records (qui presse aussi des vinyles), son propre studio (il a ainsi produit plusieurs disques)… et bossé dans le cinéma. Il a composé la B.O. d’un James Bond avec Alicia Keys et est apparu chez Jarmusch ou chez Scorsese.
Il a 46 ans aujourd’hui. Et les cheveux bleus. Et sort ses 4e et 5e albums en solo en 2022. Pas un double album qui ferait causer jusque dans les rédactions de webzines/fanzines bien établis. Mais un album électrique en avril, ce Fear of the Dawn dont nous allons parler, et un autre, plutôt acoustique, en juillet, Entering Heaven Alive. Savant calcul comptable ou réelle cohérence artistique ? On ne le saura que cet été et peut-être que les deux disques s’en trouveront grandis. Ou pas. Vous l’avez compris, Jack White semble s’ennuyer assez vite quand il ne fait rien. Et il a même décidé depuis Boarding House Reach, sorti en 2018, de carrément changer ses habitudes de composition et surtout de production. Comme un gamin confiné avec un tas de nouveaux jouets avec plein de boutons, il semble avoir endossé pour un temps le costume de laborantin de studio. En mode control freak. Il tente, teste, s’égare parfois sans que sa musique n’y perde son attraction et sa patte caractéristique pour autant. S’ouvre à d’autres influences (hip-hop, funk), invite une foule nombreuse à ses sessions d’enregistrements. Il est loin le temps du documentaire It Might get loud, où on le découvrait plutôt rigide et lo-fi sur le sujet face à un The Edge et son approche diamétralement opposée du traitement sonore.
Et dès le single « Taking me Back » envoyé en éclaireur il y a plusieurs semaines, on mesure l’évolution depuis le rock mal dégrossi des premiers White Stripes. Jack White est toujours capable de pondre des riffs bateaux qui s’incrustent (pourtant) durablement dans votre tête. Mais il s’amuse maintenant beaucoup plus avec le son, le compresse, le triture, rajoute des claviers wtf qu’on regarderait avec dédain ailleurs. Pas aussi surprenant que la première fois où l’on est tombé sur « Over and Over and Over », le single bombastique de l’album précédent. Mais l’album commence tambour battant avec en deuxième piste, les deux minutes furieuses de « Fear of the Dawn » à la rythmique aussi délicate qu’un pachyderme au milieu de la porcelaine. Avec Jack White qui triture sa six-cordes de façon stridente et un thérémine pour encore un peu plus de folie (le clip cheap est assez génial). On croirait le rythme prêt à retomber avec l’intro sobre de « The White Raven » mais le rock 2.0 de Jack White continue de marteler des sonorités presque synthétiques. Et on peut être ici plutôt circonspect. Et préférer l’étrange, déroutant mais groovy « Hi-De-Ho » à l’intro grandiloquente (!) où s’invite Q-Tip du (NdRC : fabuleux) groupe A Tribe Called Quest au micro. Attention au choc ! Comme sur le génial « Eosophobia », où claviers, basse bondissante et la guitare de Jack White font merveille. Il y a un côté presque ludique dans ces compositions, la fraîcheur nouvelle d’un musicien qui découvre de nouveaux outils et mélange tout ce qui lui tombe sous la main sans se soucier d’une quelconque convention stylistique. On n’est pas loin de retrouver l’inspiration protéiforme d’un Beck des belles années. C’est la bonne nouvelle de ce disque. Même dans sa manière de chanter, Jack White évolue, son phrasé se fait plus incisif, l’influence du hip-hop sans doute. La basse, autrefois absente chez les White Stripes, amène ici un groove que l’on avait déjà découvert, surpris, sur le disque précédent. Notamment sur un « Into the Twilight » tout aussi barré avec quelques samples inattendus. Ou sur l’efficace « What’s the Trick ? » au riff badass et au groove addictif. L’ennui, c’est que la deuxième partie de l’album est quand même un cran en-dessous. Un interlude de 30 secondes (« Dusk »), un « That Was Then, This is Now » plutôt faiblard et qui renvoie plutôt aux Raconteurs. On trouve aussi « Eosophobia Reprise » qui semble une prise alternative du titre évoqué plus tôt et ne méritait sans doute pas sa place ici. Mais Jack White annonçait deux albums pour 2022. Et fatalement ce que je redoutais dans ce genre d’entreprise arrive. Un poil de remplissage. Pas forcément le cas de « Morning, Noon and Night » non plus, mais qui aurait fait au mieux une face B sympathique chez les Raconteurs.
J’en étais là, un peu déçu de devoir tempérer mon enthousiasme du début, et qui finalement renvoie à l’impression dégagée par Boarding House Reach. A savoir, un album bancal, aux fulgurances et aux surprises bienvenues dans la carrière de Jack White mais où il semble parfois se perdre dans ses nouvelles lubies, quoique cette dernière impression est moins forte dans le cas présent. Mettre Pro-tools dans les mains d’un fan du blues des origines, le résultat n’est pas toujours explosif. Mais, parce ce qu’il y a un mais… et un dernier titre avec le splendide « Shedding my Velvet », le genre de pépite de songwriting dont Jack White est toujours capable. Et qui va jouer le rôle de teaser efficace pour un deuxième disque qui s’annonce plutôt centré sur cette facette du talent du natif de Detroit. À nouveau dans le registre du crooner, Jack White rejoue un de ses grands titres (comme « Would You Fight for my Love » ou « Weep Themselves to Sleep » sur ses deux premiers albums solo) où piano, guitares inspirées (et une basse groovy) le positionne clairement au-dessus de la mêlée. Ça s’appelle le talent. RDV en Juillet pour la suite.
Sonicdragao