Interview – Mike Watt et Scotty Irving (Spirit of Hamlet)

Publié par le 15 mai 2023 dans Interviews, Non classé, Toutes les interviews

La fin des années 70 et le début des 80s constituait une époque charnière où tout semblait encore possible. La génération du vide issue du punk américain s’est alors trouvée une identité artistique nihiliste. La discographie de Mike Watt est transversale, sans être clairement identifiable, sa musique ne s’est pas adaptée aux décennies. Des balises parsemées au travers de projets éphémères (Crimony), de groupes légendaires (Porno For Pyros, Minutemen, The Stooges), une façon de guider son auditoire tout en le déroutant. Du punk-funk des Minutemen au rock jazzy de fIREHOSE…
Entretien avec Mike Watt et Scotty Irving (Clang Quartet), réunis avec Benjy Johnson et Kawabata Makoto (Acid Mothers Temple) autour du projet Spirit of Hamlet qui vient de sortir son premier album, Northwest of Hamuretto.

Mike Watt : « J’en suis arrivé à ne plus décrire un genre musical, à ne me fixer aucune bannière stylistique. (…) Le fait de définir telle ou telle musique crée des cloisons, on souhaite éviter ça. Chaque projet est un apprentissage ! On est comme des chats excités qui unissent leurs miaulements ! »

Mike, cela fait plus de quarante ans que tu fais de la musique. Tu as formé Minutemen en 1980, puis il y a eu fIREHOSE et tant d’autres groupes. Sur ton album solo Ball-hog or Tugboat, il y a un morceau intitulé « Against the 70’s », penses-tu que chaque décennie suit la précédente en termes de nostalgie ?
Mike Watt : Ça date de 1995. C’était avant tout un disque-test où « n’importe qui dans mon entourage » était invité pour venir enregistrer. Dave Grohl, Eddie Vedder, Frank Black, Tiffany Anders, Henry Rollins, Mike D (des Beastie Boys), Mark Lanegan… Pas moins de 48 musiciens ont participé à ce double-album. Hormis le fait que je jouais de la basse et chantais sur quelques titres, une sorte d’analogie s’est créée, comme sur un ring, chacun apportant ses idées sur une base de composition. Après toutes ces années, je vois tout cela comme une progression, c’était une réunion de musiciens que j’affectionne particulièrement. Je voulais plutôt expérimenter. Tugboat c’est une remorque qui pousse un navire, Ball-hog c’est comme au basket, chacun chope le ballon et tente de marquer. Concernant fIREHOSE, avec Ed Crawford, notre amitié remonte à plusieurs années, on se produisait avec beaucoup moins de moyens et souvent dans de petites salles.

À propos de Spirit of Hamlet et de cet album, j’ai cru comprendre que Scotty Irving avait enregistré ses parties de batterie en une seule nuit. Est-ce vrai ?
MW
: Pas vraiment, il est à l’origine de Spirit of Hamlet, le point de départ, la rampe de lancement. Il m’a proposé ses partie de batterie pour huit titres, je ne sais pas combien de temps il lui a fallu exactement, Franck, mais ça s’est fait rapidement. Scotty pourra mieux te détailler cela. Une fois la basse et la batterie enregistrées, on a envoyé ça à Makoto, puis Benjy s’est greffé dessus.
Scotty Irving : J’avais des idées à la base et fort heureusement ces plans ont fonctionné à merveille. J’essayais de garder à l’esprit qu’il fallait ajouter la basse de Mike, je lui ai envoyé des parties un peu jazzy, et tout s’est fait de manière spontanée, à distance, comme si nous étions au même endroit. Mike a posé ses doigts sur les cordes, et ça a matché.

Comment s’est créée cette alchimie, notamment sur le titre « Strike it Rich » qui sonne presque comme un one-hit-wonder ?
SI
 : Je n’ai reçu aucune instruction de la part de Makoto et de Mike. Si ce titre sonne comme si nous étions quatre dans le même studio, c’est parce que chacun a contribué à cette cohérence, notamment Benjy qui a écrit des textes. Mike, qu’en dis-tu ?
MW: Personne ne nous a encore dit cela, mais le truc c’est de faire confiance à son oreille. Oui, la technologie permet de faire des trucs dingues mais on ne s’est pas dit qu’on allait pondre un hit ! En français, vous avez un mot pour définir cette matière informe… Une bouillie, une sorte de lisier coupé en morceaux. Spirit of Hamlet se rapproche de cela, dans le processus de construction, on vient pour la plupart de la scène free et expérimentale. Un gars comme Jack Wright a écrit un bouquin sur la musique free (NdR : The Free Musics, aux éditions Spring Garden Music), c’est de là que ça vient. Chacun rajoute une couche au gâteau pour aboutir à ce résultat. C’est comme sauter d’un poteau, à la base j’ignorais qui allait être la troisième personne qui allait enregistrer avec nous et je n’avais aucune idée sur les textes. J’en suis arrivé à ne plus décrire un genre musical, à ne me fixer aucune bannière stylistique.
SI : Ça a constitué une surprise pour moi aussi !
MW : Dans les années 80, c’était totalement différent car internet n’existait pas. Je ne sais pas si tu as connu le projet DOS, à deux basses avec Kira Roessler qui a joué avec Black Flag. On utilisait des bandes quatre pistes, c’est fondamentalement le même paradigme, sauf qu’on ne pouvait pas s’envoyer de fichiers audio comme aujourd’hui. Seulement par courrier et on était séparés de 3800 kilomètres… Le truc important, c’est comment ça tient ensemble. À trop vouloir accélérer les choses, on passe à côté.
SI : C’est comme le résumé d’un film, tu lis des commentaires, le spoiler… et au final tu ne regardes jamais un film de la même manière.
MW : Tu ne peux pas faire sonner tout cela si les décisions sont unilatérales avec des personnes que tu connais. Le fait de définir telle ou telle musique crée des cloisons, on souhaite éviter ça. Chaque projet est un apprentissage ! On est comme des chats excités qui unissent leurs miaulements ! (Rires) J’ai fait beaucoup de disques avec des musiciens que je n’ai jamais rencontrés !

Pourquoi avoir nommé ce projet Spirit of Hamlet ?
MW
 : John Coltrane est né à Hamlet en Caroline du Nord en 1926. Il est mort bien trop jeune et a eu trop peu de temps. En 2014, avec mon trio de l’époque, on a traversé la région où il est né et est resté quelques mois avant de partir. On se disait que Coltrane avait vécu sur la route… En regardant un bâtiment de l’association de Combat contre la ségrégation et pour le droit de vote, j’ai vu un mécano qui nous surveillait. Le mec est ensuite venu avec les clés de l’appartement où est né Coltrane, je me suis retrouvé dans sa chambre ! J’ai pris quelques photos. Ça reste un sacré souvenir. John Coltrane était un punk avant-gardiste. J’ai depuis cherché à mieux le connaître. La pochette de l’album illustre un bâtiment où John Coltrane est né, du moins ce qu’il en reste. Le quartier a été reconstruit.

Que signifie le titre de l’album Northwest of Hamuretto ?
Mike
: Tu sais en Asie, les mots ont plusieurs significations, ça pourrait se traduire par… Hamlet ( ハムレット) !

Quelles étaient vos influences lors du processus de composition et d’enregistrement de cet album ?
MW : Comme je te disais, c’est Scotty le géniteur. Il était l’étincelle, nous nous sommes transformés en un moteur. Tout a fini par prendre forme, se mettre en place. On a fait beaucoup de réajustements, fini par réinventer des choses qu’on avait déjà faites, chacun avait le champ libre pour trouver sa voie. Benjy a apporté un truc à la Funkadelic, non pas comme un clonage, mais l’adjonction de petits éléments que l’on peut ressentir dans son chant et la guitare.
SI : En arrière-plan, c’est assez varié, on trouve beaucoup d’éléments différents que je suis incapable d’identifier ! C’est l’une des principales raisons pour lesquelles je savais que ce serait intéressant de bosser avec Mike. Surtout qu’il s’est également impliqué comme ingénieur du son depuis son home-studio.

Mike Watt : « Les années 70 étaient très narcissiques… Les gros groupes remplissaient des salles entières mais c’était très différent des formations garages des 60s, souvent sans label… Ce sont ces groupes qui ont construit l’édifice du punk. J’ai énormément découvert grâce à cette scène underground. J’espérais vraiment que les gens découvrent les Stooges. »

Mike, tu as un son de basse assez différent sur ce disque…
MW
 : Oui, par moments ça se rapproche du son d’une guitare mais en plus pêchu, comme une batterie avec le kick sur des toms, c’est quelque chose qui me plaît bien.
SI : La complémentarité basse-batterie est primordiale. C’est un travail en duo.
MW : Ça m’évoque l’époque où David Bowie vivait à Berlin-Ouest, il enregistrait Lust For Life avec Iggy Pop. Au-dessus, il y avait un atelier qui diffusait la musique importée des States, ça faisait un bruit sourd comme une batterie, ça a été une impulsion pour David, une source d’inspiration et une période très créative, genre : « Faites-vous confiance les gars et c’est parti ! » Une chose mène toujours à une autre.
SI : Ça revient à dire, dans une certaine mesure, que tu dois presque te battre contre toi-même pour ne pas te répéter. Ça demande une gymnastique de l’esprit.
MW : J’en ai fait l’expérience Franck, c’est un peu comme un casting pour Holllywood où on fait défiler des candidats, c’est finalement juste le remake d’un acteur qui suit un script, il n’y a rien de novateur, je n’en vois pas l’intérêt. On s’est dit que beaucoup de groupes font la même chose et ont tendance à se répéter, nous c’était plutôt : « OK, voyons ce qui se passe avec cette combinaison trippante de personnalités. »
SI : Spirit of Hamlet est comme une seule personne tout en étant un quatuor, on a trouvé cette idée assez drôle. On ne voulait surtout pas que ce soit ennuyeux. C’est une des raisons qui m’a poussé à m’impliquer dans ce disque.
MW : J’ai beaucoup de mal à écouter des enregistrements trop modernes, par rapport aux plus anciens, ça sonne digitalisé et ça vieillit très vite. On a voulu vraiment restituer cette sonorité brute et directe. Je n’ai pas besoin de me reposer sur mes antécédents, ça vient probablement de la manière traditionnelle dont on enregistrait avec Minutemen, c’est certainement un atout.

Avez-vous prévu de vous retrouver sur scène et de faire quelques dates ?
SI
: On aimerait tellement !
MW : Je ne sais déjà pas comment on pourrait s’organiser pour répéter, notamment quelques jours avant une éventuelle date sur scène, chacun étant bien occupé par ses activités. Makoto Kawabata me disait récemment qu’il vivait en haut d’une montagne, tel un vieux sage.

Il me semble que ton expérience la plus mémorable est quand tu as vu les MC5 et T. Rex.
MW
 : Oui, c’était en 1974. T. Rex jouait à Long Beach pour le festival de Don Kirshner (NdR : Don Kirshner’s Rock Concert), j’ai accroché ensuite avec les Stooges. Les groupes comme Led Zeppelin, Grand Funk ne pouvaient pas jouer autre chose que leur propre répertoire. Les années 70 étaient très narcissiques… OK, ces groupes remplissaient des salles entières mais c’était très différent des formations garages des 60s, souvent sans label… La plupart ont d’ailleurs disparu. Ce sont ces groupes qui ont construit l’édifice du punk. J’ai énormément découvert grâce à cette scène underground. J’espérais vraiment que les gens découvrent les Stooges.

Avec le recul, comment perçois-tu les albums de ton premier groupe Minutemen ?
MW
 : On a monté ce groupe avec mon ami d’enfance Dennes D. Boon (NdR : chanteur du groupe). Ça s’est fait dans un court laps de temps, trois mecs qui se réunissent, les mots nous venaient instinctivement, pas de rimes, on faisait des chansons assez courtes sur le monde qui nous entourait. On n’avait pas de restrictions, c’était du genre : « Tu quittes ton boulot, et on répète ». Tout s’est brisé au moment où les portes de la vie se sont fermées (NdR : D. Boon est mort le 22 décembre 1985, d’un accident de la route). Quand on me parle de cette période, je la relie toujours à ce que je suis aujourd’hui.

Que penses-tu de la nouvelle tendance post-punk, noise qui s’est inspirée des Minutemen ? Comment expliques-tu ce revival ?
MW : Avec la technologie actuelle, il faut être créatif. Tu as raison d’évoquer cela, je trouve qu’une partie de l’esthétique a changé la musique, les jeunes retournent au support physique, vinyles et cassettes. Je suis plutôt ravi de cela. Grâce aux technologies, on peut creuser davantage ensemble et rassembler ce que l’on a trouvé. C’est un travail de création intra-utérine. Il y a toujours ce fardeau d’être créatif, mais en se réunissant, on parvient à ce que tout prenne forme sans se diluer. On prévoit d’ailleurs un deuxième chapitre de Spirit of Hamlet.

À côté de tes activités musicales, as-tu pensé à écrire tes mémoires vu le nombre d’anecdotes que tu pourrais raconter ?
MW
: J’écris quelques sonnets de quatorze vers, des poèmes, des bribes, mais ça ne rime pas. À côté de ça, on prépare aussi un film avec un ami qui vit sur Cleveland.

Et toi Scott, d’autres projets ?
SI : En mars, on a mis en ligne un live de 2013 d’un autre projet, Quaint Quixotica (NdR : avec Kawabata Makoto et Arsushi Tsuyamav, tous deux de Acid Mother Temple). Je ne voulais pas trop en parler pour éviter de faire de l’ombre à Spirit of Hamlet. Cela n’a donc pas été très relayé. On ne s’ennuie pas comme tu vois ! Et puis voir le sourire de Mike quand notre album est sorti a suffi à mon bonheur. C’était vraiment un grand moment !

Interview réalisée par Franck Irle

Un grand merci à Dan Volohov pour cette entrevue vidéo.

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