Interview – EZ3kiel
Un nouvel album d’EZ3kiel est toujours source de surprises et d’émerveillements. Lux ne déroge pas à la règle et la sortie du disque a été suivie d’une longue tournée à travers la France, qu’on peut déjà qualifier de triomphale. Avant le passage du groupe à l’EMB, excellente petite salle val d’oisienne, nous avons pu échanger avec Stéphane Badiaud, arrivé en tant que multi instrumentiste en 2007 peu avant l’enregistrement de BATTLEfield, et aujourd’hui pilier d’EZ3kiel. Une conversation qui a forcément beaucoup tourné autour de la soif de liberté qui caractérise ce groupe.
Mine de rien, ça faisait longtemps que vous n’aviez pas sorti d’album studio (6 ans depuis BATTLEfield) et entre temps Mathieu Fays (le batteur, ndr) est parti et Yann (Nguema, ndr) a lâché sa basse. Comment s’est passée la genèse de l’album ? Il y a eu des périodes de doute ?
Ça faisait déjà un petit bout de temps qu’on pensait faire l’album. Ça s’est reporté parce qu’il y avait des projets. Le Naphatline Orchestra, la tournée avec Extended… Quand on a terminé la tournée avec Extended on était vraiment dispos pour repartir sur le nouvel album. Ça fait un peu plus d’un an qu’on s’est mis à bosser dessus, depuis juin 2013 et à partir de septembre, octobre on répétait tous les jours et ça s’est fait petit à petit.
Qu’est-ce qui a poussé Yann à se consacrer exclusivement à l’aspect visuel ?
Le manque de temps. Il ne pouvait ne plus faire la musique ET le visuel en même temps.
Car le visuel prend encore plus de place qu’avant ?
Oui et il avait envie de se consacrer à cet aspect visuel. Faire de la basse ça lui permettait d’être sur scène mais là il a dû faire un choix. C’est lui qui a fait son choix on n’a jamais émis ce souhait. Je pense que ça lui manque quand même de plus faire de la musique, de ne plus être sur scène avec nous. Je ne sais pas si c’est un sacrifice, je pense qu’il est content de s’être focalisé sur un truc.
Tu peux nous parler du dispositif en place sur cette tournée ?
C’est un ensemble matricé qu’on appelle le Magic Screen, le mur de LED derrière, constitué de 48 Magic Panel. Chaque Magic Panel est complètement indépendant au niveau des rotations, des mouvements, des couleurs, de comment ça s’allume, etc. C’est un mur qui est derrière nous et qui réagit par rapport à la musique. C’est des dispositifs qui n’existent pas, ça a été matricé pour pouvoir faire des mouvements spécifiques à ce que le logiciel de Yann leur demande de faire. Des fois y a des effets papillons, des ondes… Des mouvements qui font penser au vent dans les blés par exemple.
Avec un dispositif aussi poussé, peaufiné dans les moindres détails, vous arrivez quand même à garder une certaine liberté scénique ou vous vous devez d’être très carré pour que ça marche ?
On est quand même un peu obligés d’être carrés car beaucoup de choses sont calées mais c’est pas un frein pour jouer les morceaux. Ils ont été écrits comme ça, ils sonnent comme ça. Sur BATTLEfield, y a des morceaux en live qui pouvaient plus évoluer. Si un son de guitare durait plus longtemps on s’en accommodait et de toute façon les images étaient interactives donc quand Yann décidait que ça partait, ça partait sinon ça ne partait pas et puis voilà. Maintenant les lasers peuvent interagir sur les Magic Panel en direct donc c’est jamais les mêmes mouvements. Après on trouve des trucs qui marchent donc on les garde, d’autres marchent pas donc on les change. Au fur et à mesure des lives on fait des ajustements. C’est en ça que le live est intéressant, au bout d’un moment on va arriver à quelque chose de vraiment bien taillé. C’est aussi un exercice de style. Moi j’ai pas l’impression de refaire rigoureusement la même chose si ce n’est en termes de durée, après dans le contenu des fois on se lâche plus, on prend plus de risques, c’est variable.
Du coup vous n’avez pas de difficultés à intégrer d’anciens morceaux à vos sets ?
Il a fallu les retailler un peu pour qu’ils rentrent, leur donner une autre couleur aussi, un peu plus électronique. Mais on en avait marre aussi de jouer des vieux morceaux. À 95% c’est que des morceaux du dernier album. Jouer des « Volfoni » (« Volfoni’s Revenge » ndr), « Wedding » (« The Wedding » ndr) etc. On les a joués avec BATTLEfield, avec Hint, avec l’orchestre symphonique, avec l’Extended… Et en plus on les a joués à 14 avec un quatuor à cordes, un piano, deux guitares. Si maintenant fallait faire des morceaux à 3, ça serait bien « cheapos ». Les morceaux qui marchent à 3 on les fait, le reste c’était hier…
Une sortie DVD de prévue ?
Non, pas encore.
Votre musique est très cinématographique. Quand vous composez vous avez déjà des images en tête ? Vous vous inspirez de films ?
On s’inspire pas de films mais ça nous fait penser à des films ou des séries ou des personnages. Sur un film ou une série on va être interpellé par l’ambiance, par ce que ça génère, pas forcément au niveau de la musique. La BD nous inspire assez peu par contre.
Vous aimeriez composer une BO ?
Ouais. On nous propose des courts-métrages que des gens font, on nous demande si on peut utiliser notre musique. Moi je trouve ça bien. Mais le fait de faire une musique exprès pour, ce serait vraiment cool. On attend ça, faut aller voir les bonnes personnes. Y a encore des gens qui croient qu’EZ3kiel c’est du dub électro ethnique. Ils savent pas forcément qu’on a fait un truc avec Hint, qu’on a fait du noise, un projet avec un orchestre symphonique… Faut aller taper sur les bonnes épaules.
Vous devez vous réjouir du retour à la mode du vinyl, vous qui soignez particulièrement votre artwork ?
Oui c’est sûr. Le vinyl se vend de façon assez hallucinante. Pour quelque chose qui a failli être jeté à la poubelle car « le CD était 100 fois meilleur… » Et c’est vrai que pour l’artwork c’est plus sympa.
On a l’impression qu’à chaque nouvel album, chaque nouvelle tournée, vous avez envie de faire table rase du passé, de repartir quasiment de zéro. On ne sait jamais trop à quoi s’attendre quand vous sortez un nouveau disque…
Nous non plus (rires). Mais là on a la sensation de tenir le bon bout. On a pu diversifier les rencontres, les projets, les formes, le nombre de musiciens, ils étaient 3 avant puis 4, revenir à 3 musiciens, plus Yann, faire un truc avec Hint à 6, l’Extended à 14, l’orchestre symphonique à 60. C’est une chance que de pouvoir s’ouvrir à ce genre de collaborations mais on ne fait pas table rase. Y a toujours une continuité dans les procédés. Le fait que Jo (Joan Guillon aux machines et à la guitare, ndr) a commencé à bosser sur Extended sur les synthés, l’électronique etc. ça s’est répercuté, aggravé pour aller vers Lux. Du coup il avait des idées de compos très axées sur des sons synthétiques, des batteries électroniques, des programmations… C’est comme ça qu’on arrive à avoir une esthétique, un fil conducteur.
Tu me parlais de toutes vos collaborations, vous avez encore des invités sur l’album, c’est quelque chose de nécessaire pour vous pour vous remettre à question ? Vous « bousculer » un peu ?
On trouve qu’avoir un album uniquement instrumental ça peut être un peu chiant. Avoir des invités qui peuvent donner des reliefs sur les morceaux, c’est bien aussi. Et on aime inviter des gens qu’on apprécie et dont on aime la musique. Comme Pierre Mottron on l’aime beaucoup mais on ne le connaissait pas, Laetitia Sheriff aussi qu’on connaissait uniquement par disque interposé. C’est quelqu’un qui fait de la super musique. On avait un morceau calme, on s’est dit qu’on pouvait lui proposer, voir si ça lui parle.
Plutôt que de renvoyer des morceaux à des MCs, même si on était très contents quand on l’a fait. On a fait ça avec BluRoom, il a fait un texte super, ça parle pas de té-ci, ça insulte pas les meufs et les homosexuels. C’est important de savoir à qui tu t’adresses quand c’est un américain qui rappe. Y a des choses que je ne veux pas du tout entendre sur ma musique. On avait lu un peu ce qu’il faisait avec d’autres groupes, il a parlé des planètes, de trucs super poétiques, c’était très intéressant. Parler de dope ou insulter les homos, ça aurait été impossible… On fait des choses avec des gens qui sont dans le même truc, pas avec Mc Merguez qui dit des saloperies sous prétexte qu’il fasse 2 millions de vues sur youtube. On n’en a rien à foutre.
Sur cet album, je trouve qu’il y a un côté très post-rock. C’est venu naturellement ou c’était une envie au départ ? Vous avez beaucoup écouté Mogwai ces derniers temps ?
On a toujours écouté Mogwai. Le fait d’être un trio guitare-basse-batterie ça joue aussi. Mais on n’est pas un groupe de post-rock, on n’est pas Isis ou Dub Trio. On ne peut pas faire ça ou alors ça risque de ne pas nous ressembler, d’être un peu terne. On aime cette énergie-là, cette musique mais on a essayé de la faire à notre manière. Avec les machines, les batteries électroniques, il y a une patte et si on y injecte de la guitare, des beaux synthés, de la basse bien sentie ça peut peut-être donner une vision plus personnelle. Mais c’est une musique qu’on écoute. On écoute aussi bien du hip hop, que du death ou de la musique classique. Mais plus volontiers du Stravinsky que du Bach.
Le morceau “Anonymous” est un peu à part je trouve du reste de l’album avec un côté plus trip hop. C’est parce que vous deviez bossez avec Pierre Mottron ou vous aviez de toute façon cette compo prévue ?
Non, le morceau n’était même pas fait quand on lui a envoyé l’idée. C’était juste des boucles. Il a chanté sur 2,3 morceaux. Y avait ce morceau sur lequel ça collait plus. On n’était pas du tout sur un format single, de radio ou quoi. On n’a jamais fait ça. Mais on s’est dit que le morceau collait à ce genre de format même s’il fait plus de 4 minutes alors que par exemple à Radio France ou Inter si ça fait au delà de 3’37, 3’40 maximum ça passe pas, c’est trop long. Les gens se font chier… Faire de la musique au chausse-pieds, à vouloir rentrer dans la boite parce que eux ne veulent pas daigner s’ouvrir un peu plus à un format un peu différent… Y a des groupes en 2’30 qui vont te faire un putain de single qui te décroche l’oreille, au bout de deux fois tu l’entends tu la chantes toute la journée… Nous on n’a jamais travaillé dans cette optique-là. Mais le label Ici D’Ailleurs nous a encouragé à le faire. Ils nous ont dit « écoutez même si c’est pas fait pour, y a ptet moyen que vous fassiez connaître votre musique, l’album avec un morceau qui va peut-être se démarquer un peu plus. » On ne va pas prendre un morceau instrumental de 5’40 ça passera jamais. Là y a un morceau avec de la voix avec un format (couplet, refrain…), quelque chose de plus compartimenté que les autres morceaux. Mais on n’a pas visé ça, pour une fois on avait un truc correspondant un peu plus à ce format donc on l’a fait.
Vous étiez au départ assimilé à la scène dub française, ce n’est plus trop le cas aujourd’hui. Qu’est-ce que vous pensez de l’évolution de cette scène ?
On les suit toujours. On était chez Jarring (Jarring Effects, le label ndr) avec High Tone, Brain Damage… C’est des potes même si on se croise moins souvent maintenant. C’est des gens qu’on apprécie. Mais c’est vrai qu’on a suivi un autre chemin.
Au départ on avait un parti pris basse-batterie avec des machines. Mais on a voulu casser ce truc-là. Déjà quand l’album Naphtaline est sorti, faire un album de berceuses, y en a plein qui ont rien compris. Après sur BATTLEfield y avait des grosses guitares avec des morceaux bien dark, puis on a fait du noise avec Hint… C’est une chance pour nous d’évoluer comme ça.
Vous n’avez pas peur de perdre du monde en route en vous diversifiant autant ?
Non, ça c’est pas grave. Ce serait idiot de dire qu’on fait de la musique pour pas plaire aux gens. On est hyper contents de jouer devant beaucoup de monde, on a joué à Lille devant 1000 – 1200 personnes. Ça veut dire que ça leur plait, que c’est écoutable, bien produit. On fait notre maximum pour ça. En général le public suit une fois et après il se fait chier… Y a des gens qui nous disent « j’aimais bien les images avant », le fait de faire des choses avec des lumières maintenant il y a des gens qui sont déstabilisés. Tant pis. Mais y’en a qui suivent. Bon, les goûts et les couleurs…
J’ai lu que vous étiez déjà pressés d’enregistrer un nouvel album…
Ouais. Là on profite mais y aura rapidement des choses parce qu’on a trouvé un truc, à trois guitare-basse-batterie. On se disait « olala comment utiliser le vibraphone ? » parce que si je joue du vibra je peux pas jouer de batterie… Mais on a trouvé un truc avec les batteries électroniques, la programmation. Sylvain peut jouer du clavier et de la guitare, Jo pareil. Avant de commencer Lux on se disait « il faut qu’on soit 4 ou 5 », on pensait élargir la famille, demander à Cyril Soufflet notre pote pianiste ou Gérald le guitariste de faire un truc, parce qu’on pensait qu’on s’en sortirait jamais. On s’est posé plein de fois la question sur le format et finalement on est contents de ce format-là et il marche. Le dernier album on l’a produit chez nous dans notre local, on a tout ce qu’il faut pour pouvoir repartir.
On peut donc prévoir une certaine continuité avec Lux ?
Pas forcément. Ce sera ptet un album de death avec des invités norvégiens et une chorale d’enfants (rires)…
D’ailleurs il vous reste quand même des choses à explorer ? Des styles musicaux que vous n’avez pas encore expérimentés ?
On va pas chercher à faire du yodel autrichien non plus mais oui on va essayer de ne pas se fermer trop. Je ne sais pas vers quoi on peut aller. Y a des quantités de morceaux qui serviront peut-être jamais, d’autres qui ressortiront du panier alors qu’on les avaient pas gardés pour Lux… On verra.
A l’issue de cet entretien, on ne savait pas encore que quelques heures plus tard, on se prendrait une des plus belles baffes de l’année en concert. Les effets de lumière orchestrés de main de maître par Yann Nguema sont réellement impressionnants, très aboutis et servent parfaitement la prestation scénique du trio. Impossible de ne pas être happé par la force qui se dégage de cette musique plus que jamais indissociable de son univers visuel. Lux est définitivement un des grands albums de l’année et on frissonne encore en repensant à la version revisitée de “Barb4ry”…
Entretien réalisé par JL, photos signées ET.