Interview – Duke Garwood
Auteur d’un des plus beaux albums de ce début d’année, Duke Garwood était de passage à Paris pour un concert à l’Alhambra en première partie de Mark Lanegan le 7 mars dernier. Avant cela, il a accepté de répondre à nos questions avec le calme et la sérénité qui le caractérisent. Et nous avons fait le maximum pour rester concentrés et réfréner les frissons en entendant les balances du grand Mark.
Tu as mis 4 ans à sortir Heavy Love. Pourquoi ça a pris si longtemps ?
Oh, la vie… C’est comme ça. J’ai fait Black Pudding (NdR : avec Mark Lanegan) entre temps donc ça m’a pas mal occupé. Je ne voulais pas trop me précipiter pour un nouvel album donc j’ai pris mon temps. Je deviens plus lent qu’auparavant. Je suis prolifique mais je prends mon temps. Je voulais qu’il soit vraiment bon, et même quand il était enregistré, ça a encore pris du temps. Après le mix, encore un an et demi pour tout mettre en place.
Malgré cette longue période de genèse, le fait qu’il ait été enregistré dans beaucoup de lieux différents, il est très cohérent et homogène. Comment tu l’expliques ?
C’est notamment dû à ma technique d’enregistrement. C’est une technique très naturelle avec une production assez minimaliste. Je n’aime pas passer deux heures à trouver le bon son de guitare, je préfère jouer simplement.
De plus, l’album a été mixé à un seul endroit. Tu peux enregistrer un peu partout mais il faut mixer à un seul endroit. Si tu mixes à deux, trois endroits différents, tu sonneras très différemment. Le mix c’est vraiment le moment où tu définis le son final du disque, c’est donc pour ça qu’il y a cette homogénéité.
Mark (NdR : Lanegan) s’est d’ailleurs occupé du mix avec Alain (NdR : Johannes) c’est ça ?
Oui, le son de L.A.
J’ai lu que Mark t’avait dit dans un premier temps que ça sonnait « comme de la merde » la première fois que tu lui as fait écouter tes enregistrements !
Oui c’est à peu près ça. Il m’a dit « laisse-moi m’en charger. » C’est vrai que je n’étais pas content non plus du résultat mais je n’avais plus d’argent… Je lui ai dit « non laisse tomber ». Mais il fallait que quelqu’un le fasse bien. Maintenant je sais à quel point c’est important, je ne perdrai plus mon temps comme ça.
C’est un album très calme, assez sombre. Etais-tu dans un état d’esprit particulièrement noir quand tu as écrit ce disque ?
Non, dans plusieurs états d’esprit différents. Je suis toujours dans un état d’esprit sombre mais quand j’ai enregistré le morceau Heavy Love j’étais vraiment malade, quasiment sourd suite à ma tournée d’un an (avec un écho permanent qui crie dans les oreilles). Je ne pouvais plus rien entendre, c’est comme si ma tête était dans un oreiller. Je me suis retrouvé seul avec ma guitare, vraiment déprimé et j’ai voulu me retrouver dans la musique. Donc j’ai écrit des chansons et c’est comme ça que mes meilleurs morceaux me sont venus.
“Je crois qu’en termes de cohésion et de plaisir d’écoute Heavy Love est mon meilleur album”
Comment tu es dans la vie et lorsque tu composes ? Je t’imagine lire des livres toute la journée, écrire des chansons devant la cheminée… Je suis certainement à côté de la plaque…
Oh c’est chouette que tu vois ça comme ça. Je lis beaucoup, je joue aussi beaucoup. J’aime me promener, je regarde beaucoup de films. Je n’aime pas trop regarder la TV. De temps en temps j’aime jouer de la guitare devant des films. Récemment je regardais ce film, New Jack City. Et à un moment un beat arrive et là je me suis dit « merde il faut que je trouve un riff qui aille là-dessus. » Parfois c’est agréable de jouer sur des films. Mais principalement je médite sur des sons, j’aime le calme.
Ça ne m’étonne pas que les films t’inspirent. Tu aimerais faire une BO non ?
Oui j’adorerais. J’attends qu’un réalisateur me propose et on pourrait faire un truc super.
En tant que multi-instrumentiste, c’est dur pour toi de « laisser » une partie des enregistrements en les confiant à quelqu’un d’autre ?
Désormais je trouve ça facile, avant je n’aimais pas. J’ai confiance en l’expertise d’autres musiciens. Si j’ai besoin d’une basse, j’aime accorder ma confiance à un bassiste qui connait son truc, pareil pour la batterie. Certains instruments plus que d’autres mais ça apporte de la fraicheur plutôt que si tout était joué par moi. J’aime ce qu’ils apportent : la surprise. C’est important.
Jehnny Beth (NdR : chanteuse de Savages) faisait partie des invitées. Comment ça a collé entre vous deux ? Je sais que tu avais notamment joué de la clarinette sur l’album de Savages… Ça n’a pas été compliqué de la « calmer » ? Elle a habituellement un chant beaucoup plus énervé…
Elle a entendu ma chanson « Heavy Love » et m’a dit « j’adore ». Johnny Hostile l’adorait aussi, il voulait jouer dessus, s’amuser avec le morceau. Jehnny a adapté son chant, c’est une excellente chanteuse, elle aime ma musique… Elle ne doit pas nécessairement être « cette fille de Savages » sur mon album. Elle peut être elle-même, ou quelqu’un d’autre. La musique te permet d’être plusieurs personnes, comme un acteur. Tu n’es pas un acteur, tu restes un musicien mais tu joues le rôle qui convient au morceau.
Tu penses que c’est ton meilleur album ?
(Il s’étouffe avec son café. Sans relation directe avec la question à priori) Je crois que c’est un bon album, je ne sais pas si c’est mon meilleur. J’en ai fait beaucoup que personne n’a jamais entendus, qui ne seront jamais publiés. Certains d’entre eux étaient incroyables ! Mais je crois qu’en termes de cohésion et de plaisir d’écoute c’est mon meilleur album.
“Il y aura une suite à Black Pudding avec Mark Lanegan. Je veux l’enregistrer cette année.”
Parlons de ta relation avec Mark Lanegan si ça ne te dérange pas. Tu as enregistré beaucoup de morceaux avec lui et récemment l’album Black Pudding. Ça doit être très simple pour vous deux de travailler ensemble…
Oui ça l’est. Mis à part le fait que nous vivons loin l’un de l’autre. J’habite dans le sud est de l’Angleterre et lui sur la côte ouest américaine…
Vous vous voyez quand même beaucoup ? Ou juste pour la musique ?
Non. Pas suffisamment. Nous avons une relation musicale à distance. Maintenant que nous tournons ensemble, nous aimerions en profiter pour jouer ensemble mais c’est compliqué en tournée de trouver le temps et de se concentrer là-dessus. J’aimerais le voir davantage, passer plus de temps ensemble. Quand je fais de la musique, je dois être focalisé là-dessus. S’il y a des distractions, je m’embrouille et je ne peux pas y arriver. Mais on travaille remarquablement ensemble car on est tous les deux des gens qui intériorisent beaucoup.
Vous paraissez vraiment connectés musicalement. Et il y a des similitudes, même dans ton chant.
Ouais. On est tous les deux profondément lunatiques. On est des prestidigitateurs (conjurors), on fait remonter nos sentiments profondément enfouis qui doivent s’exprimer. On a beaucoup de choses à exprimer à travers la musique : de la colère, du bonheur, de la joie… Des sentiments très variés.
Vous envisagez une suite à Black Pudding prochainement ?
Oui il y en aura une, on travaille déjà dessus.
Pour cette année ?
Je veux l’enregistrer cette année oui, absolument.
Excellente nouvelle ! Comment s’est passé l’enregistrement de Black Pudding ? Tu lui envoyais des instrumentaux comme s’il était un MC et toi son DJ ?
Oui je lui envoyais des instrumentaux. Un par un, de différents styles. Et on a travaillé comme ça.
“Je n’ai jamais été perturbé par des conneries du business de la musique car ce business m’ignore complètement. Donc je n’ai pas à m’inquiéter ou à déprimer vis-à-vis de choses qui pourrissent la vie de certains artistes.”
Vous allez jouer des morceaux ensemble ce soir ?
Oui, son rappel. Nous jouerons « I Am The Wolf » ensemble, « Methamphetamine Blues » et un autre morceau. J’aimerais jouer davantage mais Jeff est un guitariste incroyable et il assure.
Mark a dit récemment que tu étais « un de ses artistes préférés de tous les temps ». C’est la meilleure publicité possible ça non ?
C’est très gentil. C’est beau ! J’ai beaucoup de chance, je joue depuis suffisamment longtemps et je suis là depuis suffisamment longtemps pour que des gens apprécient ce que je fais et notamment des gens célèbres. Enfin pas des gens célèbres mais des grands artistes comme Mark.
Mais je reste moi-même, je n’ai jamais été perturbé par des conneries du business de la musique car ce business m’ignore complètement. Donc je n’ai pas à m’inquiéter ou à déprimer vis-à-vis de choses qui pourrissent la vie de certains artistes. J’ignore tout ça, je fais juste de la musique et elle doit être la meilleure possible. Et comme ça je peux dormir tranquille le soir.
La musique c’est donc d’abord pour toi, tu ne te soucies pas vraiment de l’accueil du public pour tes albums ?
J’ai un bon sens pour flairer ça. Il faut que j’aime ce que je fais car je vais devoir le jouer. Je dois donc adorer ce que je fais. Et quand c’est le cas j’ai le sentiment que ça plaira au public.
Tu as déclaré dans une interview « si tu as un morceau qui est correct, mais que ça ne prend pas, ne le garde pas. Peu importe si les gens l’apprécient. » Ça m’a surpris et je me suis dit que c’était une très mauvaise nouvelle pour ton label, ils ne pourront jamais publier de raretés venant de toi !
(Un peu surpris) C’est intéressant. Je ne balance pas tout à proprement parler. Il y a beaucoup de raretés ! Il y a 10 morceaux que je n’ai pas gardés pour Heavy Love. Je ne les ai pas balancés. Mais je voulais dire que si un morceau ne prend pas vraiment, qu’il est correct mais ne fonctionne pas… Il ne faut pas insister et perdre de temps dessus.
J’ai fait ce genre d’erreurs par le passé, essayer de travailler sur quelque chose pendant des années et je me prenais la tête « pourquoi ça ne marche pas ? ». Jette-le, recommence. Ça ne vaut pas la peine de perdre son temps. Comme un peintre qui fait un tableau et ne parvient pas à trouver le truc. Alors il en fait d’autres et recommence. Et ça finit par prendre. Il peut ensuite le rendre public mais préfère le garder pour lui car ça lui appartient. Moi aussi j’ai plein de raretés, 5 albums que personne n’a jamais entendus. Si un label veut des raretés, il n’a qu’à me le demander !
Ton talent est très reconnu parmi les autres artistes. Tu reçois beaucoup de propositions de collaborations?
J’en reçois quelques-unes. Des gens veulent travailler avec moi mais pas autant que tu peux le penser. J’aime me joindre à des projets. Mais pour le moment je préfère me concentrer sur le travail avec Mark et sur mon propre travail. Il y a aussi les filles de The Smoke Fairies que j’aime beaucoup et je veux faire un album avec elles. Donc ça fait déjà pas mal de choses dans les tuyaux.
Avec qui tu rêverais de collaborer ?
Ennio Morricone. C’est LUI. Il peut m’apprendre beaucoup de choses.
On va te souhaiter ça alors, faire une BO avec Morricone.
Ouais ! Des bandes originales. Clairement.
Entretien réalisé par JL, photos signées ET
Merci à Yann de PIAS pour l’accueil et l’organisation.