Interview – Cypress Hill

Publié par le 3 juillet 2022 dans Interviews, Toutes les interviews

Quatre ans après, le souvenir de l’interview lunaire de DJ Muggs à l’occasion de la sortie d’Elephants on Acid reste douloureux. Difficile en effet de tenir vingt minutes face à un interlocuteur qui n’a rien à répondre et fait preuve d’une mauvaise foi affligeante. À l’inverse, avec un B-Real d’excellente humeur et tout à fait loquace, le temps imparti défile à toute allure. Le dixième album de Cypress Hill, Back in Black, ne restera pas dans toutes les mémoires mais le groupe n’a certainement pas à en rougir, surtout après plus de trente ans de carrière. D’ailleurs, le MC à l’inimitable voix nasillarde ne compte pas déposer les armes de sitôt (y compris dans sa guerre pour la légalisation du cannabis) et n’est pas peu fier de continuer à damer le pion aux petits jeunes…

« On peut effectivement fêter la légalisation ici en Californie et dans certains autres États, car c’est énorme, mais il faudrait que les taxes baissent et que la légalisation s’étende à tout le pays. (…) Et d’ici à ce que ce soit réglé, il reste encore beaucoup de barrières à franchir. Alors, célébrons ces premières victoires, oui, mais on ne peut pas s’asseoir et se contenter de ça. Continuons à nous battre ! »

L’album précédent marquait le retour de DJ Muggs à la production. Pourquoi n’a-t-il pas participé à Back in Black ?
B-Real : En fait, on a enregistré Back in Black en même temps qu’Elephants on Acid. Initialement, il devait s’agir d’un EP mais les vibes étaient si bonnes qu’on a souhaité aller plus loin, on a donc continué à bosser pour sortir un album entier. Muggs finissait son travail sur Elephants on Acid à ce moment-là.

Et pourquoi avoir choisi Black Milk ? Vous le connaissiez depuis longtemps ? C’est un fan de longue date de Cypress Hill ?
On était respectivement fans les uns des autres. J’adore ses productions, il déchire. On voulait donc enregistrer un EP et on pensait le confier à Alchemist, mais finalement il était très occupé et ça n’a pas pu se faire. On a donc failli abandonner ce projet pour se concentrer sur Elephants on Acid. Mais Bobo (NdR : Eric Bobo, le percussionniste) a proposé Black Milk et j’ai beaucoup aimé cette idée. Je l’ai donc appelé, il était partant pour travailler sur quelques morceaux et voir où ça pourrait nous mener. Comme je te le disais, le courant est très bien passé entre nous et il nous apportait un son différent, assez unique, qui se démarquait de nos travaux avec Muggs. En plus, Black Milk qui vient de Détroit, habite désormais à Los Angeles, ce qui nous a facilité la tâche. Il m’a rejoint dans mon studio, je lui ai fait écouter des morceaux et tout est parti de là. Cet album est prêt depuis un moment, on l’a terminé peu après Elephants on Acid. Mais on ne voulait pas le sortir trop vite pour laisser du temps à ce dernier, surtout qu’il s’agissait d’un disque très différent. Muggs tenait à revenir à un son particulier : psychédélique, poussiéreux, crasseux. Back in Black, lui, est un disque de hip-hop traditionnel. On souhaitait le sortir aux alentours de notre 30e anniversaire de carrière (NdR : leur premier album, sans titre, est sorti en 1991) et finalement on a attendu un an de plus. Et il est très bien reçu, je ne pensais pas qu’il le serait autant. Pour certains, se classer numéro un des charts hip-hop d’Apple Music, ce qui a été le cas de Back in Black, ne représente rien, ce n’est pas comme être numéro un tous styles confondus. Mais pour nous, ça n’est pas anodin, car on fait de la musique depuis trente ans et on a toujours entendu dire que l’industrie du hip-hop était réservée aux jeunes artistes. Les majors ne savent pas toujours comment toucher les jeunes lorsqu’elles sortent des albums de groupes plus anciens comme le nôtre, mais nous, nous y sommes parvenus, c’est ce que montre notre entrée dans le top 10 des charts d’Apple Music. Le fait que Back in Black ait été numéro un pendant un moment, puis reste désormais dans le top 5, représente donc beaucoup pour nous ! Le hip-hop n’est pas réservé aux plus jeunes : tous ceux portés par la passion et l’amour de ce qu’ils font, ainsi que par une bonne équipe de marketing et promotion, peuvent y parvenir. On est très fiers de ça.

Comme tu viens de le dire, les instrus de cet album sont très différentes de celles d’Elephants on Acid. Ce dernier sonnait comme un retour à certaines sonorités de Temples of Boom (NdR : sorti en 1995), je pense notamment aux touches psychédélique et orientale, alors que le nouveau se présente comme un disque de hip-hop classique, de boom bap. Cependant, on trouve le morceau « The Ride », véritable référence à cette époque avec une instru psychédélique et le sample d’« Illusions »… Ressentez-vous une certaine nostalgie de cette période ?
Oui, j’y fais d’ailleurs référence quand je chante « Cause knowledge could be found in the temple of boom ». Ce morceau aurait clairement pu être issu de cet album. Mais je pense que le public est surtout content de retrouver du boom bap de qualité sur Back in Black, un disque moins sale et psychédélique. On voulait revenir à ces saveurs, avec toujours un peu d’ambiances sombres, et Black Milk y est remarquablement parvenu.


En parlant de retour aux sources, sur cet album on trouve également le morceau « Come with Me », référence/hommage au « Hail Mary » de Tupac. Vous vous connaissiez bien ? Il était l’un des meilleurs à tes yeux ?
C’était sans discussion possible l’un des meilleurs. Il était plus qu’un rappeur : il incarnait une vibration, un mouvement. On était bons amis. Pas les meilleurs amis du monde, mais on se voyait quand on se rendait dans la Bay Area où il habitait avant de signer chez Death Row. Il venait nous voir, on fumait de l’herbe, on se racontait des conneries. Il assistait à nos concerts, c’était super. On l’a rencontré via Digital Underground. On était potes avec eux avant d’avoir sorti le moindre album, lorsque nous en étions encore au stade démos. On passait du temps ensemble à l’occasion de leurs concerts, on a donc noué des relations avec les membres de Digital Underground : Money B, DJ Fuze, et donc Pac qui en faisait partie. On les voyait régulièrement. Quand il a commencé sa carrière solo, on a continué à se côtoyer dans différents endroits, en fonction des tournées. C’était un mec très cool. Un esprit sauvage. Je voulais lui rendre hommage avec ce morceau et m’appuyer sur ses paroles pour évoquer l’industrie du cannabis. C’était un gros fumeur de weed, ce morceau est donc à double sens. Ce qui craint, c’est que j’en ai un autre sur Biggie (NdR : Notorious BIG), vraiment cool, mais nous n’avons pas pu l’intégrer à l’album suite à des problèmes de droits. On ne voulait pas utiliser de samples mais reprendre certaines de ses paroles et les modifier un peu, et nous n’avons pas pu. On le sortira certainement plus tard, gratuitement, je te promets que vous aurez l’occasion de l’écouter ! Ces deux mecs ont tellement marqué la scène hip-hop. Leurs décès ont été des pertes immenses, j’ai eu le cœur fendu quand ils sont morts. Quelle histoire triste et pourrie que ce conflit entre eux… D’autant qu’ils s’aimaient beaucoup au départ. Ils y ont perdu leur amitié puis la vie. Je ne connaissais pas vraiment Biggie, contrairement à Pac, mais je respectais les deux en tant qu’artistes et je souhaitais leur rendre hommage car ils le méritent. Que les gens adhèrent ou pas, peu importe, il fallait rendre hommage à ces deux grands messieurs.

« On peut participer à un festival metal et se mettre le public dans la poche, comme n’importe quel groupe metal. (…) Quoi qu’il arrive, il faut foncer et te donner à fond, à 110 % même, on a toujours ça en tête. Si tu n’y es pas réceptif, va te faire foutre ! On est venus et on a fait notre boulot. Sans retenue. C’est de cette manière qu’on a gagné le respect de ces scènes. »

J’ai été un peu surpris que le morceau « Open Ya Mind » ne soit pas vraiment une célébration de la légalisation du cannabis, mais dénonce les dérives de ce business. Tu y expliques que tu regrettes l’absence d’une loi fédérale. Tu sembles considérer que la bataille n’est pas complètement gagnée, que le combat continue…
Oui, nous avons remporté une bataille mais pas la guerre. Le cannabis est légal dans 18 États, pas forcément à usage récréatif mais au moins médical. On voit le mouvement prendre de l’ampleur et c’est super. Mais vu que tout se fait État par État plutôt qu’au niveau national, les taxations varient et certaines sont plus équitables que d’autres. En Californie, on paye les taxes les plus élevées, en tant que commerçants ou consommateurs. Elles s’élèvent presque à 40 %, c’est totalement injuste. On peut effectivement fêter la légalisation ici et dans certains autres États, car c’est énorme, mais il faudrait que les taxes baissent et que la légalisation s’étende à tout le pays. En tant qu’entrepreneurs en Californie, les banques fédérales n’acceptent pas notre argent car le cannabis n’est pas légal au niveau fédéral et, évidemment, elles ne veulent pas perdre leur licence et assurance. Et d’ici à ce que ce soit réglé, il reste encore beaucoup de barrières à franchir. Alors, célébrons ces premières victoires, oui, mais on ne peut pas s’asseoir et se contenter de ça. Continuons à nous battre !

Vous allez tourner avec Slipknot et Ho99o9 dans le cadre du Knotfest Roadshow. À travers votre son, vos collaborations, votre imagerie, vous êtes parvenus à séduire de nombreux fans de rock. Êtes-vous toujours certains d’y parvenir ou craignez-vous un peu de vous engager dans ce type de tournées ?
Non. C’est une partie de notre identité, les gens le savent. Et s’ils l’ignorent, on leur rappelle. On a donné tellement de concerts de ce type… Mais c’est vrai qu’avec Sen (NdR : Sen Dog, l’autre MC) et Bobo, on en discute, on se demande parfois comment aborder ces concerts en compagnie de groupes metal. Car à l’époque, on jouait parfois avec des musiciens, un groupe entier à nos côtés. Mais quand tu évolues en formation strictement hip-hop, comme c’est notre cas aujourd’hui, tu te poses la question. On peut participer à un festival metal et se mettre le public dans la poche, comme n’importe quel groupe metal, on le sait, on l’a déjà fait de nombreuses fois. Ce qui ne nous empêche pas d’être parfois anxieux, car on ne sait jamais comment les fans vont réagir, surtout les plus jeunes. Ça peut aussi bien être fantastique que merdique. Il faut essayer de ne pas trop y penser car, soyons réalistes, quoi qu’il arrive, il faut foncer et te donner à fond, à 110 % même, on a toujours ça en tête. Si tu n’y es pas réceptif, va te faire foutre ! On est venus et on a fait notre boulot. Sans retenue. C’est de cette manière qu’on a gagné le respect de ces scènes. Tu sais, à chaque fois, toute l’appréhension disparait dès que la musique sort des enceintes. Ne reste plus que l’envie d’être les meilleurs possible.

Pourquoi la reformation de Rage Against The Machine a-t-elle entrainé la fin de Prophets Of Rage, qui avait fini par sortir un EP et un album entier de compositions originales ?
(Hésitant) Comment pourrais-je formuler ça ? J’aimerais que le groupe soit toujours actif et qu’on continue après le retour de Rage Against The Machine, mais on s’était mis d’accord sur le fait que s’ils se reformaient, Prophets Of Rage devrait s’arrêter et disparaitre. Je pense que cette reformation est une bonne chose, car les gens ont toujours envie d’écouter leur musique, elle reste pertinente. Je leur souhaite le meilleur, ce sont mes potes. Je ne pense pas que Prophets Of Rage puisse se reformer, il faut être réaliste, les deux groupes ne peuvent pas exister en même temps. Prophets Of Rage est né de Rage Against The Machine. On jouait certains de leurs morceaux, d’autres de Cypress et Public Enemy. C’était dynamique, différent. C’est pour ça qu’on s’est éclatés à le faire. J’adore jouer avec ces mecs, mais je crois que ça ne pourra pas se reproduire malheureusement.

Tu parlais de vos trente ans de carrière. Le documentaire Insane in the Brain s’apprête à sortir (NdR : il est sorti le 20 avril). Je crois que vous y avez participé…
Oui. C’est toujours plaisant car on se rappelle des bons moments… et d’autres plus difficiles. C’était une belle aventure. Je pense que le public va aimer ce documentaire. Estevan (NdR : Oriol, le réalisateur) a vraiment bien bossé, surtout qu’il n’a pas fait que le réaliser, il fait partie de notre histoire (NdR : photographe et réalisateur, il a également été tour manager de Cypress Hill et House Of Pain).

J’ai lu que vous ne comptiez sortir qu’un seul autre album après Back in Black. Est-ce une décision arrêtée ? Et avez-vous une idée de sa date de parution ?
On n’est pas encore certains du moment de sa sortie, mais ce sera bel et bien le dernier. On continuera à faire de la musique, mais ce sera le dernier album classique, avec Muggs. On y travaille déjà, depuis près d’un mois.

Donc après ce prochain disque, plus de Cypress Hill ? Uniquement des albums solo ou des side-projects ?
Non, on continuera à sortir de la musique sous le nom Cypress Hill, mais on va tenter de nouvelles expériences. On adore toujours autant composer et enregistrer, on ne veut absolument pas prendre notre retraite, on ne veut même pas en entendre parler ! On va simplement changer notre façon de produire notre musique, notre art. On aime le format album, mais je crois qu’on peut offrir plus que ça. Ce n’est pas la fin de Cypress Hill, on va simplement évoluer.

Interview réalisée par Jonathan Lopez, à retrouver également dans new Noise #62 mai-juin actuellement en kiosques.

Merci à Lucie Abiven

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