Horse Temple – Arh Abrabh
Le chant. Voilà un problème récurrent chez les artistes. S’il est aisé de se cacher derrière les décibels d’une guitare électrique saturée, de se défouler sur les fûts même lorsqu’on possède un modeste niveau, chanter constitue une mise à nu difficile à accomplir pour beaucoup de musiciens. Les chanteurs peu à l’aise avec leurs voix sont légions. Bon nombre nous ont confié avoir endossé ce rôle par défaut, lorsqu’aucun membre d’un groupe ne souhaite s’y résoudre. Guillaume Collet a certainement dû faire face à ce genre de tiraillements avant de se jeter à l’eau. Bassiste de Rome Buyce Night et manipulateur de synthés au sein de Dernière Transmission, il s’était lancé en solo sous le nom de Horse Temple en 2012. Il n’était alors pas question de chanter. Le premier album du projet, Ghosts/Tracks (2014), était en effet entièrement instrumental. Et puis, sur Arh Abrabh, le voici soudain à donner de la voix comme s’il l’avait toujours fait. La voici même érigée en instrument principal, accompagnée d’une guitare au son bien rêche, l’ensemble étant régulièrement soutenu par de simples percussions (le langoureux “Pray For The Monster”, les huit minutes de l’hypnotique “I Feel Your Soul”) et parfois même sans le moindre battement de rythme (“The River”). Et on se demande bien pourquoi ledit conteur s’était autocensuré jusque-là tant son organe dégage une aura certaine, presque chamanique, lorsqu’il déclame tel un vieux bluesman écorché, avec un timbre évoquant régulièrement Jim Morrison.
Ses textes racontent des histoires du point de vue de protagonistes différents : la victime (“The River”), le témoin (“Ab Abrabh”), le prédicateur (“I Feel your Soul”), le criminel (“Trust Me”) et sont dotés de ce je-ne-sais-quoi d’implacable comme lorsqu’il nous scande “You’re six feet underground” alors que sa guitare aux tonalités psychédéliques nous déverse une pluie d’acides sur la caboche (“Arh Abrabh”). Si l’album mériterait peut-être quelques coups de semonce bien placés pour ne pas nous laisser anesthésier, c’est précisément dans son unité d’ensemble qu’il puise toute sa force et son caractère envoûtant. À l’image du puissant “Trust Me” porté par cette voix vénéneuse qui semble avoir rencontré bien des obstacles et s’être systématiquement relevée, non sans fêlures. Ou ce “Don’t Let Me Down” qui avance à pas feutrés, presque amorphe, à deux doigts de l’effondrement. La gueule dans le sable, la chaleur accablante sur les épaules et les corbacs prêts à rappliquer.
Vous l’aurez compris, la puissance évocatrice de Horse Temple est incontestable, ce disque nous emmène ailleurs, dans un décor désolé assurément, loin de toute frénésie, où tout semble évoluer au ralenti et chaque mouvement est scruté minutieusement. Arh Abrabh a tout de l’œuvre viscérale et sincère, résultant de la nécessité d’extérioriser. Il aura fallu bien du temps pour que Guillaume Collet concrétise ce projet et se décide à le partager avec le monde. Il va sans dire qu’on est ravi qu’il y soit parvenu.
Jonathan Lopez
Album en écoute ci-dessous, vous pouvez vous le procurer en digital ou physique ici.