Hellfest (Clisson), du 27 au 30/06/24
Depuis sa création sur les cendres du Fury Fest en 2006, le Hellfest déchaîne les passions dithyrambiques (l’accueil réservé à la mise en vente des pass en est un exemple frappant) comme les déceptions relevant parfois de la pure colère, le festival étant accusé par exemple de chercher à devenir toujours plus gros, quitte à s’ouvrir à une programmation un peu diluée. Les arguments du contre sont connus et parfaitement compréhensibles, cependant il faut souligner que le festival continue de proposer à chaque édition des centaines de groupes, de quoi donc trouver son bonheur, même si l’on peut être déçu de prime abord par quelques noms évoluant sur les main stages. De plus, le Hellfest travaille à améliorer tous les autres points problématiques sur lesquels il a été interpellé, notamment les agressions sexuelles, mais aussi la présence de plus d’artistes féminines sur scène et l’impact écologique d’une telle manifestation. Des points assez délicats auxquels sont confrontés de nombreux autres festivals (pas forcément de metal) et qu’il est nécessaire de résoudre sans que l’aspect festif ou la fragile bulle de liberté propres à ce type d’événements n’en pâtissent, en somme un bel exercice d’équilibriste pour toute organisation.
D’équilibre, il en est aussi question dans la programmation musicale, car l’idée du Hellfest est de s’intéresser à toutes les musiques prétendument extrêmes et de leur donner un cadre, une scène pour pouvoir s’exprimer. Si ces attributions ont été quelque peu brouillées avec le temps, les scènes Altar, Temple et Warzone continuent d’accueillir des genres bien identifiés. La scène Valley se diversifie d’année en année quand les main stages remplissent à fond leur rôles de têtes de gondoles pour têtes d’affiches. Sans oublier la Hell Stage, pourvoyeuse de groupes en devenir. Histoire de changer les habitudes qui consistent à égrener ce que l’on a vu de bon ou de mauvais au fil des journées, il a été décidé de suivre d’autres fils plus volubiles pour ce live report, telles les associations d’idées ou les grandes tendances musicales de cette édition. Bien entendu, comme il est humainement impossible d’assister à tous les concerts d’un tel événement, le compte-rendu reste des plus partiaux.
Empouvoirement
A postériori, le premier sentiment qui demeure est d’avoir eu la possibilité d’entendre et de voir plus d’artistes féminines qu’à l’accoutumée. Il semblerait que certaines critiques adressées au festival ont été entendues et que, là-dessus, la manifestation soit réceptive. Au rayon des noms très attendus, Brutus et sa batteuse/chanteuse Stefanie Mannaerts, ainsi que Chelsea Wolfe font carton plein en termes de fréquentation au sein de la Valley. Malgré l’énergie décuplée, Brutus sonne finalement assez pop, très moderne et volontaire, en tout cas l’étiquette post-hardcore ne lui sied pas toujours, car le groupe chasse aussi sur les terres d’une musique emo ou metalcore pas toujours inspirée. Chelsea Wolfe est classieuse, une reine gothique qui n’a besoin que de quelques mouvements chaloupés et phrases susurrées pour attirer les regards. Cependant, ses morceaux les plus récents sont moins impactants, donnant parfois un sentiment de caricature d’elle-même. Elle minaude beaucoup et la lassitude gagne. Heureusement, dès qu’elle se munit de sa guitare pour « 16 Psyche » et « The Culling », la flamme reprend de plus belle. Une prestation malgré tout en demi-teinte, programmée un peu tôt, ce qui ne permettait pas une immersion totale, là où la nuit aurait aidé à asseoir une atmosphère. Également très attendu, Babymetal, sensation venue du Japon, investit la Mainstage 2. C’est une sorte de mix improbable entre J-pop et heavy metal, parfois qualifié de kawaii metal (oui, cela existe !). Il faut le voir pour le croire, trois chanteuses à la manière des idoles japonaises, comme en prise directe avec Perfect Blue, dansent en rythme et chantent à l’unisson, puis à tour de rôle sur des rythmiques enlevées. C’est parfois d’un goût douteux, mais la curiosité prime. Ne serait-ce qu’en scotchant sur ce trio irréel, presque robotique, qui ne semble jamais se fatiguer et continue à onduler sur un agglomérat de sons pas vraiment à destination des mélomanes, mais parfaits pour son cardio du matin.
D’autres groupes font la part belle aux chanteuses et se succèdent sur scène, on citera notamment deux formations suédoises de facture assez classique qui ne transcendent pas par leur originalité, mais font preuve d’efficacité : Blues Pills, blues rock mené par Elin Larsson et Gaupa, heavy stoner rock mené par Emma Näslund. Très efficaces également, The Interrupters et leur chanteuse Aimee Allen pratiquent un ska punk biberonné à la fois au punk californien et au 2 Tone londonien. Adoubés depuis longtemps par Tim Armstrong (Rancid), The Interrupters profitent d’une belle énergie scénique et de la voix puissante et si particulière de sa frontwoman. Si les Français de Lofofora ne comptent pas de musicienne dans leurs rangs à proprement parler, leur set au Hellfest est marqué par une mise en avant conséquente des luttes féministes. Ils n’hésitent pas à parler ouvertement et de manière pertinente des problèmes de harcèlement sexuel et d’agressions avec lesquels les scènes punk et rock françaises doivent dealer depuis des années, et lancent un appel à se remettre complètement en question. À un autre moment du concert, ils font intervenir les Femen sur scène pour une convergence des luttes. Décorum simple et inspiré, prestation au cordeau dans leur registre de fusion rap metal et interventions politiques sans filtre et plutôt bien senties, Lofofora a assuré le show et fait œuvre d’assainissement.
Sans doute à cause d’une musique moins immédiatement accessible, Lori S. n’a pas autant attiré les foules pendant la prestation d’Acid King, même si elle donna l’un des meilleurs concerts de cette édition. Acid King, c’est le stoner doom à son acmé, un régal pour les tympans et l’âme, bercés aux tempos lents, aux riffs lourds et à la voix obsédante de Lori. Acid King, ce sont plus de trente années d’existence, un groupe expérimenté qui a remplacé sans sourciller l’annulation de Witch (J Mascis), en se concentrant juste sur ce qu’il sait faire, c’est-à-dire emmener tout un public dans un voyage sonique qui enveloppe, enivre et fait perdre peu à peu le sens des réalités. La bande à Lori (récemment renouvelée) a le don de plonger son audience dans un maelstrom de saturation psychotrope et de le laisser, en fin de concert, dans un état de satisfaction béate. Si, en plus, au détour d’une setlist presque entièrement composée de morceaux de Beyond Vision (2023), se glisse un titre comme « 2 Wheel Nation » qui a pratiquement vingt ans, l’écoute devient exquise.
Si un podium des meilleures prestations du festival est difficile à attribuer, il y a un autre type de récompense plus simple à donner, celle de la Reine du bal. Quand il n’est pas saturé de pluie, le ciel de Clisson se voit enflammé à plusieurs reprises par la nouvelle création de la Compagnie La Machine, la Gardienne des Ténèbres, à savoir une femme araignée géante dotée d’un dard de scorpion qui se met
à feuler et cracher du feu, le tout actionné par une ingénierie automatisée et un système de vérins hydrauliques. La bête se déploie, tout droit sortie d’un cauchemar de Frank Frazetta. Nous restons médusés et longuement captivés par ce nouvel exploit des équipes de La Machine.
Cependant même si la créature est la meilleure prétendante au titre de Reine du bal, une chanteuse américaine va lui voler la couronne. Alors que tout le monde se rue pour bader Metallica sur la grande scène, Julie Christmas investit la scène Valley et enflamme à son tour le cœur des chanceux et chanceuses qui ont fait l’impasse sur la grosse machine thrash. L’ex-Battle of Mice et Made Out of Babies vient de sortir un nouvel album essentiel, Ridiculous and Full of Blood, dans lequel elle s’est entourée de proches de confiance, dont certains membres de Cult of Luna avec qui elle avait déjà collaboré sur Mariner. Noise supérieure et épique, susurrations glaciales qui remontent le long de l’échine, cris rageux et désespérés qui annihilent toute volonté de lutte, la musique de Julie Christmas est taillée dans le noir le plus pur, une sorte de cri primal qui hurle la détresse et le chaos de la vie humaine au visage du monde. C’est une messe noire cathartique menée par une JC embarbelée qui offre son corps et son âme à qui veut bien s’en emparer afin de se sentir un peu mieux lors de son fragile passage sur terre. Deux titres interprétés l’un après l’autre en cette belle nuit de musique donnent des frissons pendant longtemps : « Supernatural » et « End of the World ». Atmosphère d’outre-tombe, puissance magnétique sans pareille et honnêteté des sentiments, il est là le concert du festival qui nous a secoué les tripes et consolé un bout de l’âme.
Bass heroes
On est en droit d’attendre d’un festival qui possède une statue géante de Lemmy qu’il s’intéresse aux bassistes et plus particulièrement aux frontmen, à la fois bassistes et chanteurs. Deux groupes cochent toutes les cases et atterrissent directement dans le classement des meilleurs concerts de cette édition : All Them Witches et 1000mods. Originaire de Nashville – pour du rock, cela paraît logique –, All Them Witches s’est toujours un peu cherché. Jamais entièrement stoner, néo psyché ou blues, il a toujours été difficile de lui trouver une identité forte, jusqu’à maintenant. Car sa prestation au Hellfest 2024 démontre que le groupe suit son propre tempo et travaille une matière précise qu’il nourrit et développe par circonvolution, afin d’aboutir à une musique que l’on serait tenté de qualifier de post-blues. All Them Witches se sert d’une assise blues codifiée, un ADN hérité des précédentes générations de rockers du Tennessee, et explose ce carcan en le contraignant à diverses attaques venues de l’intérieur. Il explore tout un spectre musical voguant du stoner charnel au psychédélisme classieux des seventies, des envolées post-rock aux saillies grunge, voire même garage. La bande à Charles Michael Parks Jr. et Ben McLeod semble creuser un sillon qui pourrait les mener très vite aux sommets.
Changement de plateau, mais pas forcément d’univers, car 1000mods évolue aussi dans le monde du stoner à fortes tendances heavy et grunge. Seulement, eux ne sont pas originaires du Tennessee, mais plutôt de Grèce. 1000mods, c’est une énergie débridée toujours en mouvement, avec des rythmes qui pulsent, accélèrent d’un coup, puis ralentissent avant de repartir de plus belle, le tout exécuté avec maîtrise et sens de l’à-propos. 1000mods, c’est l’envie d’un stoner conquérant, saturé et strident, une musique pleine de hardiesse faite pour s’abattre sur le public et le clouer au sol, le laissant hagard et comblé. 1000mods existe depuis 2006, il serait temps d’en parler un peu plus.
Combats de sosies
Il arrive parfois que l’on soit soumis à quelques hallucinations ou délires pendant un festival, est-ce à cause des litres d’alcool que l’on ingurgite ou parce que le soleil tape trop fort ? Dans le meilleur des cas, l’ivresse et la fatigue nous mettent dans un état idéal de réceptivité, mais à d’autres occasions, on peut dériver loin, à la suite d’une pensée ou remarque inattendue. Quand Tom Morello foule le sol de la Mainstage 1, on se dit que le set va ressembler à un pot-pourri d’extraits de RATM sur lesquels on va dodeliner de la tête sans se faire prier, agrémentés de morceaux issus de ses projets en solo et récentes collaborations auxquels nous sommes plus hermétiques. Cependant, ce que l’on n’avait pas anticipé, c’est son apparition plein cadre sur les écrans géants et sa ressemblance, à s’y méprendre, avec Pascal Légitimus… Le délire est amorcé, le fou rire ne peut se réprimer, nous allons assister à un concert de Pascal Légitimus transformé en guitar hero, foulard rouge bien repassé, casquette enfoncée sur le crâne, prêt à reprendre « Auteuil Neuilly Passy » en mode fusion. On nous pardonnera facilement ce petit moment d’égarement, sans doute dû aux effets secondaires du Chardonnay, seulement rebelote sur la scène Warzone avec cette fois-ci, ni plus, ni moins que Ice-T en mode sosie. Pourtant, on parle ici de l’une des meilleures prestations du festival, les biens nommés Body Count qui, comme d‘habitude, ont assommé et retourné l’impressionnant parterre formé devant eux. Au moins une fois dans sa vie, il faut entendre et vivre « Born Dead » en live, tellement ce concentré de rage pure reste encore d’actualité trente ans plus tard. Une prestation de haut vol qui est marquée par deux moments bizarres, l’apparition de la petite fille d’Ice-T au micro en mode chou hardcore (du thrash kawaï ?) et le discours de « bonhomme » de ce dernier à un moment donné, pas toujours grand amateur de finesse. Mais, pour en revenir à nos délires, ce qui nous marque vraiment, c’est la propension d’Ice-T à ressembler à… Francky Vincent (le nom est lâché, c’est trop tard, de toute façon personne n’aura lu jusque-là). Pas moyen de se le sortir de la tête, Francky a délaissé les chansons bébêtes parlant de bas ventre pour se mettre au rap metal le plus violent qui soit. Histoire de clôturer en fanfare ce délirant épisode, les deux feront une photo backstage qui nous confortera dans l’idée de cette ressemblance fortuite des plus gênantes.
Le retour des vieilles gloires
Même si, l’âge aidant, les vieilles gloires augmentent leurs chances de devenir de bons sosies, elles continuent quand même à mener leur barque, cahin-caha, à la recherche du second souffle. Cela frappe surtout chez les groupes qui ont connu les sommets il y a déjà un petit moment dans les années 90, voire même 80. Un sentiment non négligeable de fonctionnement au rabais ne rend vraiment pas agréable ce que l’on entend aujourd’hui chez certains. Foo Fighters, Metallica et même Queens of the Stone Age sonnent un peu à vide, même s’il est toujours agréable de voir Josh Homme fouler une scène, lui qui se bat avec des problèmes de santé envahissants depuis des années. Et qu’il est plaisant d’entendre de nouveau « The Lost Art of Keeping A Secret ». De son côté, Thursday amorçait son retour aux affaires sur la Warzone, ils semblent un peu dépassés par l’événement et mettent du temps à rentrer dedans. La deuxième partie du set est meilleure, malgré ce sentiment persistant encore et toujours que le groupe s’accroche à quelque chose qu’il n’est plus vraiment. Therapy? s’en sort mieux sur la scène Valley, les Irlandais font une prestation correcte, sans fausse note, sans non plus de grandes fulgurances. Aussi présent sur la scène Valley, Chino Moreno est l’un des rares à rester investi et motivé par l’exploration de nouvelles pistes. Pour une fois, il fait faux bond à Deftones et se produit avec l’un de ses side projects, Crosses (†††). Le groupe essuie plusieurs problèmes de son qui le contraint à s’arrêter, puis reprendre. La prestation restera un souvenir mitigé, mais ce que l’on réussit à voir/entendre est plutôt de belle facture. Fear Factory est en reconstruction, le chanteur phare est parti, un nouveau (Milo Silvestro) a fait son apparition, il est assez charismatique et mène bien sa barque. Le groupe indus a du métier et cela s’entend. Sans forcer, mais avec application, Dino Cazares tient la baraque et rappelle à notre bon souvenir les grandes heures de la musique industrielle. Un autre grand ancien dont il est bon ton de se moquer va démontrer pourtant que tout est toujours question de subjectivité. Est-ce dû à la bouteille acquise au fil des années ? Ou au je-m’en-foutisme affiché de bout en bout pendant le set ? En tout cas, The Offspring a régalé comme on dit, ils ont su créer une bulle de nostalgie pour adolescents boutonneux sur le retour qui se sont amusés comme des fous. Très précis dans leur exécution, ils semblent comme libérés de leurs vieilles étiquettes encombrantes et donnent maintenant l’image d’un groupe de punk classique et établi, doté de générosité et second degré. Ils ne gagneront sûrement pas le Prix du meilleur morceau punk de cette édition mais celui de la meilleure ambiance leur revient sans problème.
Vient maintenant le gros morceau du festival, celui pour lequel on aurait sacrifié femme et enfants si l’on avait pu, Mr. Bungle aka le combo culte californien avant-gardiste qui, dans les années 90, détruisit tout cerveau normalement constitué avec son triptyque Mr. Bungle / Disco Volante / California. Mike Patton et son look foldingue, Trey Spruance et sa classe discrète, ainsi que la rythmique en béton armé Trevor Dunn et Dave Lombardo, accompagnés pour l’occasion par Scott Ian (oui, celui d’Anthrax), viennent en découdre sur la scène Valley et réinterpréter la première démo du groupe, suite à la sortie en 2020 du bien nommé The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo. Donc malheureusement peu de titres des albums suscités, mais un « My Ass Is on Fire » en… feu ! Le gang à Patton a quand même prévu plusieurs reprises, on y entend par exemple du Slayer, du Van Halen en featuring avec le propre fils Van Halen (Mammoth WVH), du Sepultura avec Andreas Kisser et un « All By Myself » (d’Eric Carmen) en mode crooner WTF, qui clôt le concert en scandant le refrain transformé en « Go Fuck Yourself ». On aurait aimé entendre d’autres titres, avoir la possibilité de piocher dans une setlist tirée du triptyque de la perfection, espérons que ce soit le cas pour une prochaine fois. Remarquons tout de même que tous les membres de cette bande, quoi qu’ils entreprennent, continuent de nous émerveiller dans tous leurs projets.
À l’expérience
Les vieux de la vieille comme on les appelle ou, moins familièrement, des groupes au profil très expérimenté ont aussi marqué les esprits de cette édition, comme à chaque fois serait-on tenté de dire… Chacun dans leur registre respectif ont fait preuve d’autorité et de suffisamment de talent pour asseoir leur réputation. Que ce soit Megadeth et Kerry King (Slayer) de retour aux affaires, pour la partie thrash/speed metal, Saxon et Machine Head pour le hard rock/heavy/groove metal plus traditionnel, Fu Manchu pour le heavy stoner, ou encore Emperor, Cradle of Filth et Dark Tranquillity pour les parties black et death metal, tous ont assez d’expérience pour convaincre et parfois même surprendre au détour d’une phase de chant clair ou guttural, d’un riff entêtant ou d’une mélodie inspirée. Le Hellfest permet encore cela, voir des groupes qui comptent dans leur catégorie, en pleine possession de leurs moyens et qui, très souvent, assurent sur scène. Le hard rock mâtiné de funk, voire de glam des américains d’Extreme, avec leur guitariste iconique Nuno Bettencourt (héritier de Liliane… ah non, fake news me dit-on), ainsi que le black metal symphonique des Norvégiens de Dimmu Borgir finissent de compléter le tableau des groupes solides. Cependant, force est de constater que dans un registre beaucoup plus compatible avec la doxa exitmusikienne, ce sont encore une fois les vieux punks qui retournent tout ! Que ce soit Madball et son hardcore nucléaire, Total Chaos et son punk irréductible, Biohazard et son melting pot très étudié de punk, rap et metal, ainsi que la référence ultime en matière de crossover musical et que l’on ne présente plus, Suicidal Tendencies, chacun est au rendez-vous, toujours sur le pied de guerre et sans jamais rechigner à la tâche. S’il fallait en retenir deux car ils ont particulièrement brillé, ce sont les précurseurs des scènes oi! et punk, les londoniens de Cock Sparrer (1972 quand même), ainsi que les excellents américains de The Casualties, récipiendaires d’un street punk racé, très bon enfant et à l’énergie communicative électrisante.
Pour un peu de rab
Parce qu’il en faut toujours un peu plus, comme à la cantine, et surtout parce que finir sans évoquer les groupes qui suivent aurait été une faute grave, voici encore quelques curiosités qu’il ne fallait pas manquer cette année. Tout d’abord, Slaughter To Prevail qui essaya pendant quinze minutes d’organiser le plus grand Wall of Death du monde. Est-ce qu’il y a eu record ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, Alex Terrible faillit jeter l’éponge plusieurs fois en voyant tous ces Français déchaînés ne pas arriver à se départager en deux lignes vraiment claires (comme quoi, même en festival, c’est difficile de s’entendre). Presque découragé, mais sourire aux lèvres, il lança quand même son Wall of Death qui, s’il n’était pas le plus grand, fut très impressionnant. Slaughter To Prevail est basé en Floride, mais est un groupe d’origine russe, ce qui change un peu des formations américaines. D’ailleurs, nous continuons à voyager de plus belle avec les Islandais de Skálmöld, fiers représentants de la mouvance viking metal (oui, cela existe aussi !) qui narrent les Eddas à grands coups de soli épiques, les Polonais inquiétants et cryptiques de Batushka, les Allemands de Kanonenfieber qui s’intéressent aux horreurs de la première guerre mondiale et créent tout un décorum impressionnant (tenues et accessoires) baigné dans une musique blackened death metal plutôt inspirée, et les « demi-dieux du heavy metal canadien », Anvil, devenus cultes suite à la sortie du documentaire Anvil! The Story of Anvil (2010, Sacha Gervasi). Anvil a le don d’amuser et d’attendrir, il est fascinant de voir Steve « Lips » Kudlow sourire à tout va et se démener sur une scène trop grande pour lui (elle a été aménagée dans la journée pour accueillir Metallica plus tard), jouant une musique que l’on peut qualifier de tout, sauf brillante et accompagné d’un bassiste/serial killer qui roule des yeux et regarde directement dans ton âme à travers les écrans géants ! Anvil est une expérience frappadingue qui charme, parfois plus que de raison…
On ne pouvait finir ce live report sans mentionner Brujeria*, d’autant plus que le groupe a vécu deux tragédies dans les mois qui ont suivi le festival, avec les décès coup sur coup des deux chanteurs emblématiques que sont Juan Brujo et Pinche Peach. Les Mexicains adeptes d’identités cachées, de symbolisme occulte et de paroles sexuelles et sataniques, se produisent au Hellfest avec un concert de patrons. Leur grindcore/death mâtiné de folklore et rythmes latins est puissant, enlevé et extrêmement fédérateur, ils haranguent la foule à tour de rôle et nous promettent stupre et tortures démoniaques. Pinche Peach est ce Priape fou aux yeux exorbités et au visage non masqué, tout droit sorti d’un film d’épouvante du Brésilien José Mojica Marins. Juan Brujo est le chef de gang, guidant et remettant de l’ordre dans ce tourbillon bariolé, énergique et furieux qui fut l’un des grands premiers actes du festival. Il est temps maintenant de reposer la plume et d’aller écouter des musiques plus calmes, profitons-en pour de nouveau saluer ce groupe unique, Brujeria, qui vit une sale période et dont l’avenir reste malheureusement indécis.
« Dark Julian » Savès
*Brujeria compta un temps Dino Cazares (Fear Factory) dans ses rangs.