Gorillaz – Demon Days (Parlophone)
Damon Albarn est un génial touche-à-tout, chanteur, compositeur et pianiste, au début de sa carrière, avec le groupe Blur.
Blur, fondé en 1989 par Damon et son compère guitariste Graham Coxon, a été un groupe étendard de la britpop au début des années 90, leur rivalité avec Oasis faisant les choux gras de la presse britannique. Ils s’éloignent rapidement de cette ambiance calibrée et sage, pour s’orienter vers des contrées beaucoup plus expérimentales, ce qui en général caractèrise Damon Albarn, qui n’est jamais où on l’attend. Fort de quelques excellents albums (Modern Life is Rubbish, Parklife, Blur..) et tubes intemporels (“Girs and Boys”, “Tender”, “Song 2″…), Blur avait quelque peu déçu certains fans de longue date avec Think Tank, dernier opus studio à ce jour (enregistré sans Coxon), qui contenait pourtant le planant “Out Of Time”, le déjanté “Crazy Beat”, et la sublime “Jets”, aux contours jazzy.
Damon Albarn se sent un peu à l’étroit dans la structure figée d’un groupe, et se lance dans une nouvelle aventure en créant Gorillaz. Gorillaz n’est pas à proprement parler un groupe, puisqu’il s’agit d’un assemblage de musiciens “virtuels”. Les enregistrements des disques eux, sont réalisés par de vrais musicos ou rappeurs. Damon Albarn et Jamie Hewlett, dessinateur de BD, créateur d’une série influencée par le mouvement punk et vaguement anar “Tankgirl”, sont les pères de cette aventure, et assurent le liant de l’ensemble.
Le groupe virtuel est composé des “personnages” dessinés : 2D, Murdoc, Noodles et Russel Hobs, que l’on voit dans certains clips qui mettent en image leurs compositions ; comme “Dare” ou “Dirty Harry”, aux fortes influences manga. Damon Albarn et Jamie Hewlett ont inventé une biographie à tous ces personnages, qui se rencontrent de manière fortuite, parfois accidentelle et violente. Concept innovant, s’il en est, mais qui pourrait tourner à vide, si le principal moteur de ce projet, la musique n’était pas à la hauteur.
C’est là que ça devient bon, car Damon et sa clique d’invités, conjuguent leurs talent et proposent un cocktail détonnant, aux influences diverses : hip hop, trip hop, pop/rock ou dub. Après un premier album assez inégal mais contenant notamment le redoutable single “Clint Eastwood” qui a tourné en boucle sur les radios tout l’été 2001, Gorillaz hausse le ton avec son second album, Demon Days, qui vaut vraiment le détour.
Paru en 2005, il est produit par Danger Mouse, DJ et musicien américain de talent (percussions, piano), qui vient de faire beaucoup parler de lui l’année précédente avec son controversé Grey Album (mix du White Album des Beatles et du Black Album de Jay-Z). Il rejoindra ensuite Gnarls Barkley, collaborera avec les Black Keys et autres MF Doom.
En attendant, il assure avec panache la production de ce disque, véritable OMNI (objet musical non identifié).
Pour ce délire, Damon et Jamie ont convié des personnages aussi divers que De la Soul, Ike Turner, Neneh Cherry ou Dennis Hopper, le génial acteur/réalisateur américain disparu récemment. Le résultat est un concept album, d’une grande fraîcheur et totalement hors norme. La pochette du disque, est le portrait des quatre musiciens fondateurs virtuels du Groupe Gorillaz, les fameux personnages créés par Jamie Hewlett.
Ambiance cinoche ou de jeu vidéo, d’entrée, avec sirènes, voix déformées en boucle, avant de lancer le disque sur « are we the last living souls ? ». Boîtes à rythmes, claviers mécaniques, mélodie simpliste, sont-ils les derniers sur terre, à avoir des âmes vivantes ? De nombreux titres sont le résultat d’un génial collage sonore. Tout y passe, samples, voix triturées, instruments déformés, et influences musicales très diverses. Damon est un compositeur éclectique, et c’est ce qui ressort d’emblée à l’écoute de ce disque.
Plusieurs tubes, ont fait la popularité de Demon Days, et le look des personnages mi-manga, mi-futuristes, genre mad max rencontrant Naruto, y ont contribué également. “Feel Good Inc”, très dansant, éclat de rire caverneux qui laisse la place à la basse pour mener le bal, est un excellent appel à se trémousser dans les teufs, De la Soul assurant la partie rappée, avec un flow imparable. Le titre “Dare”, second morceau très célèbre de ce disque, n’est pas en reste. Rythme sautillant assuré au piano, voix haut perchée de Noodle qui chante « it’s coming up, it’s coming up, it’s dare », et la partie rappée est assurée par Shaun Ryder, ex-leader du Groupe Happy Mondays. Les fêtes approchant, n’oubliez pas ces deux titres pour faire monter la sauce le 31 décembre !
Sur le titre “Fire Coming Out Of The Monkey’s Head”, Dennis Hopper prête sa voix pour conter cette histoire délirante, classe non ?
L’album s’achève sur “Demon Days”, mélodie violonneuse, voix éthérée, un rythme reggae s’installe avec un superbe chœur en conclusion.
Trop pour un seul disque diront les grincheux, je ne suis pas de cet avis, je trouve plutôt que les chansons s’enchaînent avec fluidité, toutes différentes, nourries des sons qui influencent Damon Albarn, et tout l’ensemble coule de source. Albarn est une éponge, il capte tout ce qui le branche, le triture, le mixe avec ses nombreux compères, qu’ils soient au mic, aux consoles ou aux instruments.
Damon Albarn, ne s’installant jamais dans le confort, et aimant se mettre en risque, a même signé la mise en scène d’un Opéra Rock (syndrome Peter Townshend ?), situé dans le 16ème siècle chinois. Ça vous donne une idée du type, pas la rock star qui ressasse à l’infini les mêmes sons qui ont fait sa gloire.
La suite des aventures de Gorillaz, surviendra 5 ans plus tard avec l’excellent Plastic Beach, conviant toujours autant d’invités prestigieux (Lou Reed, Mick Jones, Paul Simonon…). Concept Album again, démontrant une nouvelle fois, si c’était encore nécessaire, tout le talent du bonhomme.
El Padre