Godflesh – Purge
Soyons honnêtes un peu, ça changera. Godflesh demeure une sorte d’énigme pour nous dans le sens où il nous a toujours autant attirés qu’un brin ennuyés. La capacité de Justin Broadrick à pondre des riffs ultimes nous pousse à revenir irrémédiablement vers ses albums mais parfois leur aspect monolithique suscite des moments d’égarements cérébraux. C’est à la lumière de la passionnante interview de Broadrick dans le dernier numéro de new Noise — que l’on recommande aussi chaudement que les précédents — que l’envie de nous plonger dans ce nouvel album et par là même dans le cerveau tourmenté de son géniteur s’est trouvée décuplée. Grand bien nous en a pris.
Pour parvenir à capter l’attention de notre esprit vagabond, Justin et Ben Green ont intelligemment opté pour une double rouste d’entrée de jeu, personnifiée par « Nero » (riff ultime puissance 5) et « Land Lord » (riff ultime puissance 12). Le son est parfaitement répugnant, l’exécution sommaire, la leçon acceptée sans broncher. Et sans réserves. Après cela, il eût été tentant de quémander triple ration de morceaux similaires, lourds comme c’est pas permis, eu égard à leur redoutable efficacité. Trop facile. Et indigne de ce qui nous est proposé. On sait pertinemment que c’est bien lorsqu’il s’acharne à nous ratatiner la gueule, que nos cervicales commencent à grincer, qu’on finit par s’affaisser et se désintéresser de la chose à la moindre baisse d’intensité (dès qu’on descend sous le riff ultime puissance 3, en somme). Sur Post Self, précédent disque sorti en 2017, on retrouvait un peu de Jesu dans Godflesh et cela s’était avéré une bonne idée pour renouveler notre intérêt. Il le fait moins ici, la mission première de Purge reste de nous laminer et il l’effectue avec une remarquable application, sans négliger pour autant la variété des angles d’attaque. Surtout, ce disque qui se veut une forme de suite à Pure daté de 1992 (après tout, seul un « g » les sépare) a également servi d’exutoire à Broadrick, lequel pousse quelques cris qui semblent provenir du plus profond de ses entrailles et que l’on devine parfaitement libérateurs (l’éprouvant « Mythology of Self » a tout d’une bande son de PURGatoire). Sans se voir offrir (est-on bien sûr du terme ?) un morceau aussi expérimental que « Pure II » qui clôturait Pure en 21’16 des plus absconses, notre esprit vagabond aura toutefois tout loisir de se perdre dans les méandres de l’ambient « Lazarus Leper » et de s’immerger avec bonheur dans le planant « The Father ». À écouter fort pour se laisser porter. Pour le reste, Broadrick renoue avec sa mécanique parfaitement huilée (même s’il serait plus approprié de parler de rouille grinçante), confirmant son appétence pour le hip hop avec l’omniprésence de beats et samples propres au style (si on veut bien passer outre le labourage en règle de la guitare et de la basse, c’est particulièrement prégnant sur « Land Lord », « Army of Non » et « Permission ». On inviterait bien Will Brooks AKA Dälek à venir poser quelques vers).
Arrivé au bout d’un disque bien plus riche que l’accueil des plus rustres pouvait laisser augurer, et étonnamment assez facile à gober, demeure ce sentiment persistant que le tempo s’est réduit progressivement à mesure que l’on avance dans l’album jusqu’à atteindre un niveau scandaleusement bas sur l’étouffant, bien qu’aérien, « You Are the Judge, the Jury and the Executioner » final. Étouffant, aérien, lourd, puissant, éthéré. Autant de qualificatifs a priori antinomiques qui collent parfaitement à ce disque finalement remarquablement équilibré et étudié. Une Purge aussi bénéfique — pour ne pas dire essentielle — à son auteur qu’à ses adeptes.
Jonathan Lopez