Grant Lee Buffalo – Fuzzy
Je n’ai jamais trop su si j’étais un vieux con avant l’heure ou un adolescent doté d’une admirable maturité mais j’adore ce premier album de Grant Lee Buffalo depuis un bon bout de temps. Il ne contient pourtant aucun riff gorgé de fuzz (pub mensongère !) pouvant satisfaire mon goût alors prononcé pour le sanglant. Il est simplement beau. Il diffuse un fort sentiment de liberté, d’évasion, de procrastination. Il fait du bien. Et ce dès le très enlevé et accrocheur « The Shining Hour ».
Alors, évidemment, jeune ou vieux, connard fini ou philanthrope, n’importe qui peut aisément succomber à la mélodie imparable et indémodable de « Fuzzy », si touchante, si évocatrice, à même de raviver bien des souvenirs de chambres d’ado, de vieilles photos délavées… Oui, « Fuzzy » coche toutes les cases du morceau ultime. Il a fait date, figure au panthéon. Mais s’arrêter au titre éponyme serait une grave erreur que vous êtes bien trop expérimentés pour commettre, n’est-ce pas ?
Les compositions de ce disque, d’une belle variété d’ensemble, sont admirables. Marqué par des influences folk, country, mâtiné de bon vieux classic rock, Fuzzy donne envie de tout plaquer pour traverser les States au volant d’une vieille Dodge rafistolée. Grant Lee Philips y est pour beaucoup. Doté d’un timbre unique, il fait également preuve d’une technique impeccable qu’il ne manque pas d’exhiber ici. On a le droit de préférer ses intonations graves à ses envolées un brin lyriques mais son registre est bluffant et son charisme vocal impressionnant. Et on n’a de cesse de se délecter de ce jeu de guitare d’une grande subtilité. Trente ans après, on pourrait éventuellement chipoter sur la production, qui aurait gagné à faire preuve de plus de sobriété… Mais pour les raisons évoquées plus haut, il est difficile de conserver une grande objectivité pour un album qu’on connait déjà par cœur et auquel on ne voudrait rien retoucher. Revisiter un disque connu dans ses moindres recoins revient à retrouver une maison d’enfance… La nostalgie s’en mêle, l’emporte aisément sur toute autre considération. Pas touche à la peinture quelque peu écaillée et les toiles d’araignée, ça a également son charme. Pas touche au « Ouuuuh chalilaaaa » de piano bar de « Dixie Drug Store » qui dénote un brin du reste. Pas touche à l’acoustique et délicat « The Hook », à la sublime « Stars ‘N’ Stripes », à cette « Grace » étonnamment psyché et lâcher prise. Surtout pas touche à la fantastique « Jupiter and Teardrop », entre murmures et cris, délicatesse et coups de semonce. Si l’on goûte un peu moins l’épique « America Snoring » s’élançant poing levé sans grande subtilité… On n’y touchera pas davantage.
D’une remarquable homogénéité malgré sa diversité, parcouru d’indéniables moments de grâce, Fuzzy a vieilli avec nous et continuera de le faire parce qu’on aurait bien du mal à s’en priver. Si on y revient toujours, presque machinalement, il convient de ne surtout pas négliger les trois disques qui ont suivi, avec une mention toute particulière pour le suivant, Mighty Joe Moon, paru en 1994.
Jonathan Lopez
du coup lecture faite, skeud écouté et skeud acheté #ilnestjamaistroptard