Föllakzoid – V

Publié par le 19 novembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Sacred Bones, 22 septembre 2023)

Dans son premier roman, simplement intitulé V, Thomas Pynchon tisse une toile opaque à travers le l’espace et le temps, sur laquelle il brode une fable polyphonique aux traits jamais clairement appuyés, avec en filigrane le mystère V, dont ne sait, à la fin, s’il est résolu, ni même résolvable. Mystère offert en pâture aux nombreux personnages, sur plusieurs générations, voyageant d’un paragraphe à l’autre de Malte à New York en passant par l’Egypte, la Namibie et bien sûr la mythique Vheissu. Alors que son image nous est si familière et qu’elle n’évoque rien de plus qu’elle n’est supposé le faire, elle devient petit à petit le symbole même du mystère à découvrir, du secret à percer, de l’énigme à résoudre. 

C’est sous ses curieux auspices que nous avons abordé le cinquième et dernier album des Chiliens de Föllakzoid, justement intitulé lui aussi V. Un album via lequel nous avons prolongé notre rêverie autour du V de Pynchon, sans tenir compte des faits très pragmatiques – nous connaissons les chiffres romains et nous connaissons les quatre premiers album de Föllakzoid – qui ne nous apparaissent pas si notables au regard de la musique proposée et de l’émerveillement qu’elle provoque.

À l’instar du bouquin de Pynchon, ce nouvel album suscite ennui et incompréhension chez la plupart des chroniqueurs qui s’y sont frottés, quand pour ma part j’en ressors avec le visage fendu d’un sourire et avec l’envie d’y retourner séance tenante. Dans les deux situations, il faut savoir plisser les yeux dans la bonne direction et se gratter la tête au bon moment pour espérer comprendre, ne serait-ce qu’un peu, ce qui se passe. Si l’introduction du disque est somme toute classique, on se rend compte rapidement que ce nous pensions être le cours principal d’un fleuve plutôt calme, n’est autre qu’un courant au milieu d’autres courants. Pour peu que l’attention soit à sa juste place, on s’éveille à la musique de V avec le sentiment d’être au cœur d’un tourbillon sombre, enveloppé et malmené à la fois par du kosmische métallique et de l’ambient électronique. 

Chacun des membres de Föllakzoid a enregistré ses parties de son côté, jusqu’à obtenir une collection de beats et de mélodies suffisante à l’édification de ce nouvel album. Charge ensuite au producteur Atom™ de construire l’identité musicale avec ses différents blocs sonores. Le résultat final est minimaliste et épuré, avec suffisamment de mouvements et de contrastes pour donner l’impression d’être en mue perpétuelle.

Avec un pareil mode d’enregistrement et de production, il aurait pu ressembler à tout autre chose. C’est peut-être ce que lui reprochent ses détracteurs qui n’arrivent surement pas à accepter qu’un fil se rompt soudainement, sans jamais être repris par la suite, quand un autre surgit incongrûment pour disparaître à son tour sans qu’on le note et sans que l’on réussisse à comprendre comment a-t-il pu apparaître à nouveau sur une autre piste, sous une autre forme, en donnant l’impression d’avoir toujours été là. Il est facile de se perdre dans cet univers si peu tangible, où les appuis sont si friables. Il est encore plus facile, toutefois, de se laisser endormir par lui et ainsi de ne pas en voir les lignes pâles et les courbes acérées. Le risque est réel de finir par le trouver plat et sans aspérités faute de repères.  En revanche, si la connexion se fait et si le charme opère, c’est comme si l’album changeait continuellement de forme et qu’il s’agissait de l’aborder à chaque écoute par un nouveau rivage. Sans le savoir, Föllakzoid perpétue le mystère pynchonien avec grâce et générosité.

V est une œuvre passionnante et rude qui s’apprivoise patiemment et demande une disposition d’esprit particulière afin d’appréhender au mieux ce type de déconstructions et de reconstructions. Le chemin, qui part des blocs de béton et qui s’étend jusqu’aux constellations brumeuses, n’est peut-être pas si long et nous avons sans doute ici le disque idoine pour accompagner notre marche. 

Max

1 commentaire

  1. Oui, subjectivement il m’a un peu décontenancé.
    J’en suis sorti fendu d’un visage empreint de déception pour un groupe aux belles qualités.

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