Fleuves noirs – Respecte toi
C’est à pas feutrés qu’on nous invite à nous avancer. À l’évidence, on n’a pas mis les pieds chez le premier dealer de pop venu, on a pénétré une antre atypique, déstabilisante, et rapidement vont débouler des chants de tribus, habités, et absolument transcendants.
Le ton est ainsi donné d’emblée. Il est question de « Certitudes et probabilités » même si les secondes prennent aisément le pas sur les premières. À la manière d’un Swans, il est ici suggéré de s’abandonner aux invocations mystiques, de constater plus tard où ça nous mène.
Ces Fleuves noirs, assurément pas tranquilles, malgré une redondance rythmique de nature à rassurer, semblent dissimuler quelque chose de malsain et d’indicible, planqué sous les ronces. Prêt à surgir. Cette basse, des plus directives, n’en finit plus de nous asséner ses vérités avec force persuasion. Ça rentre à coups de burin. La guitare, elle, se balade, où bon lui semble. « This is Mike » ne cesse de faire les présentations. Et se voudrait presque groovy. On se remémore au loin The Guru Guru et sa folie contagieuse. Avec des paroles, une assise cohérente, relativement stable, c’est bien là le morceau le plus académique, bien qu’un peu tordu. Pour ne pas dire timbré. On n’ira pas jusqu’à suggérer que ces Lillois le sont (timbrés) mais ils ont indéniablement en eux de multiples personnalités, ce qui les rend parfaitement uniques. Car Fleuves noirs, c’est une noise aventureuse, saupoudrée de tout un tas d’expérimentations, passée dans un filtre volontiers indus, confrontée à une multitude d’imprévus. Fleuves noirs est l’antithèse de la banalité, et c’est déjà une belle victoire de nos jours, où le préfabriqué est encensé. Le chaos fait loi, la ligne directrice est mouvante, s’efface au gré des humeurs.
Y’a plus de respect ma bonne dame ? Bien au contraire. Aussi obsédant qu’éprouvant, Respecte toi (qui fait suite à Respecte moi) est un disque hautement communicatif, qui incite à s’emparer d’un bâton de sorcier et se livrer à notre tour à cette danse chamanique. À sauter à cloche-pied, jamais du même. Sans calcul, sans pression, la truffe au vent. En suivant le guide, qui a l’air toujours un peu paumé, prend un malin plaisir à s’égarer en chemin, mais nous mène toujours à bon port.
Jonathan Lopez