EZ3kiel – Battlefield (Jarring Effects)
Décrire la musique d’EZ3kiel n’est pas la mission la plus évidente qui soit. Au début, les « spécialistes » ont décrété que c’était du dub. Pratique car le dub au sens large englobe de nombreuses influences et passé un temps dès qu’un groupe sortait un peu des sentiers battus il avait vite fait d’être classé électro-dub.
Problème, le trio Tourangeau n’apprécie guère faire du surplace et prend toujours son prochain par surprise. Ainsi après un second album impressionnant de maitrise (Barb4ry sorti en 2003) suivi d’un live fascinant mêlant instruments classiques et machines électroniques, mettant en lumière l’univers visuel très développé du groupe, que fait EZ3kiel ? Il publie un disque… de berceuses ! Un projet inclassable intitulé Naphtaline qui sous la forme d’un CD, DVD et DVD Rom propose une expérience sonore et visuelle interactive. Couillu et ambitieux !
Il faut dire aussi qu’EZ3kiel fait partie de l’écurie Jarring Effects (High Tone, Brain Damage, Kaly Live Dub, L’œuf Raide, Monsieur Orange…), un des labels phares du dub français et des expérimentations en tous genres. Pas du genre à brider leurs artistes.
Paru en 2008, Battlefield est leur dernier album studio à ce jour. Entre temps le trio (formé du batteur Mathieu Frays, du bassiste Yann Nguema et du guitariste/claviériste Joan Guillon) est devenu quatuor avec l’arrivée en renfort du multi-instrumentiste Stéphane Badiaud. À peine huit mois après leur dernier coup de maître, EZ3kiel remettait donc le couvert et sortait un disque plus « classique ». Les guillemets sont importants car rien n’est jamais classique avec ces gens-là.
Comme d’habitude, la pochette est magnifique. Difficile à interpréter aussi (je ne m’y risquerai pas). À l’image de la musique si singulière du groupe. C’est Yann le bassiste qui s’occupe de tout l’artwork d’EZ3kiel. Il est doué le bougre.
_ « Allez maintenant amuse-toi à décrire le contenu de l’album. » D’abord, une évidence : Battlefield est l’album le plus rock d’EZ3kiel. Les guitares sont très présentes, ravageuses parfois tout en sachant se faire discrètes quand ce n’est pas à leur tour d’entrer dans la danse.
L’univers de l’album est très sombre. Déroutant forcément. Quand on le met dans le lecteur on n’a pas grand chose à quoi se raccrocher au début. Faut pas prendre peur c’est toujours comme ça. Et c’est plutôt bon signe. Parce que le refrain mignon que tu retiens immédiatement, t’as pas souvent envie de le réécouter par la suite.
À l’inverse, nombreux sont les disques riches en atmosphères, difficiles à apprivoiser mais qui révèlent chaque fois plus au fil des écoutes. Et une fois brisé cette maudite barrière invisible avec votre cerveau, c’est gagné. Ce sont ces disques-là dont vous ne vous lasserez jamais et qui vous suivront toute votre vie. Battlefield est de cette trempe-là.
_ « OK donc là tu leur as fait le coup du disque difficile d’accès comme ça pendant ce temps-là tu dis rien sur le contenu. Pas mal la feinte… »
_ « Oh ta gueule toi ! »
Le contenu donc : 11 titres. Aucun ne ressemble au précédent. Très riche, très complexe. Atmosphère lourde en ouverture, les chars qui débarquent et vont tout broyer sur leur passage, cuivres pesants (« Adamantium »). Tendus comme des strings, on se demande ce que la suite nous réserve.
La suite ? Ah ça va mieux : des petites notes de xylophone rassurantes. Le retour des berceuses ? Pas vraiment. « Volfoni’s Revenge ». « Volfoni » était un titre de Naphtaline, d’où la première impression. La vengeance est un plat qui se mange froid, dit-on. Volfoni prend donc son temps mais l’accalmie sera de courte durée. Très vite, la tension reprend place, les roulements de batterie et cymbales annoncent une charge imminente. On avance à pas feutrés au rythme de la musique. À mi-morceau le groupe affûte ses armes. Puis à 4’30 l’assaut est lancé. On est pris. Les sons affluent de tous les côtés. Les guitares et trompettes s’emballent dans un finish digne du fada métalleux jazzy John Zorn. Un morceau incroyable qui se termine dans un vacarme assourdissant.
« Spit On The Ashes » a tout d’une grande mais elle ne possède pas la force épique de « Volfoni’s Revenge ». Le chanteur du groupe Narrow Terence livre tout de même une prestation haut de gamme et le groupe montre encore qu’il excelle dans l’art de faire évoluer ses morceaux alternant douces mélodies et furie des guitares.
Avec « Coal Flake », agréable interlude, EZ3kiel a la bonne idée de venir calmer le jeu.
On poursuit ensuite le voyage intérieur en se laissant entrainer par une rythmique dub lancinante portée par des cuivres (« The Wedding »). Par moments, on se croirait dans un bon vieux western spaghetti ! Curieux mariage mais merveilleux titre.
« Break Or Die » reprend les affaires courantes en nous remettant quelques coups sur la caboche de peur qu’on ait lâché prise. Contraste saisissant avec le morceau précédent, ici ça tabasse sec. On est dans de l’indus.
Donc si on récapitule on a eu : trip hop, électro, dub, rock, indus, jazz… Qu’est-ce qui nous manque ? Du hip hop ? Allez c’est parti ! Et pas de la merde s’il vous plaît. Invité à faire briller son organe, BluRum 13 vient nous couper la chique sur « Alignment ». Le garçon est talentueux, manie la rime avec aisance. Et il a été gâté. Ambiance oppressante en ouverture (elle aurait eu sa place dans la BO des revenants de Mogwai), le beat s’accélère par moments et une basse qui en impose vient dompter le piano. C’est pas la bonne vieille boucle à l’ancienne et démerde-toi avec ça. BluRum 13 ajuste donc son flow (parle puis chante puis rappe) à mesure que le son évolue et la cohésion est limpide. Grand titre.
Échappé de Naphtaline, « Null » débarque tout en douceur et vient nous mettre un peu de pommade pour soigner nos bleus. Comme un enfant insouciant qui viendrait accueillir son papa rentré du champ de bataille.
Et là sans prévenir que voilà ? Une horde de sauvages qui déboulent et saccagent tout (« Firedamp »). C’est aussi ça EZ3kiel, une berceuse suivi d’un excès de violence.
Vous vous dites certainement que tout cela est totalement insensé, n’a aucun sens logique. Détrompez-vous ! L’album a été soigneusement élaboré, aucun morceau n’a été placé là par hasard. Il faut l’écouter d’une traite pour s’en rendre compte. C’est comme un film qui se déroule sous nos yeux. Fait de moments clés, de légers temps morts puis de rebondissements inattendus, il vous captivera de bout en bout.
Vient ensuite l’étonnante et mémorable « The Montagues and the Capulets », reprise de la « Dance of the Knights » du compositeur russe Sergeï Prokofiev (utilisée notamment dans Romeo et Juliette). Encore un lien avec la musique classique. À l’image de l’exceptionnelle reprise de « Requiem For A Dream » qui venait clôturer le live Versus, le morceau est respectueux de l’original (on le reconnaît immédiatement). Il n’en demeure pas moins barré, richement revisité avec des changements de rythme comme ils les affectionnent. Encore une franche réussite. Les Tourangeaux savent tout faire, et semblent prendre un malin plaisir à nous déboussoler avant tout. On pourrait mal le prendre mais on ne leur en veut pas car l’écoute n’en est que plus plaisante.
Pour conclure, le quatuor convoque les Floyd sur l’excellent « Wagma ». On se délecte d’abord de cet univers onirique, cette lente euphorie tout en se doutant bien que ça cache quelque chose. Et ils nous refont le coup de la montée ravageuse pour finir en fanfare. Fin de la démonstration.
EZ3kiel est décidément inclassable. Ce groupe possède un son qui lui est propre, peut tout se permettre et nous prend toujours par la main pour nous emporter dans de nouvelles directions. On a hâte de savoir quand débute le prochain voyage…
JL