Ex Tenebris Lux Acte V @ Montpellier, 14 et 15/10/23
Bingo et victoire par presque chaos, en deux jours chrono, se sont succédé sur scène en deux lieux différents de Montpellier une pléiade de groupes pour lesquelles le public trépignait d’impatience. WhatTheFest a encore frappé fort et en plein dans le mille. De son sceau hiératique, l’acte V de Ex-Tenebris Lux a marqué le public lors d’un week-end totalement délirant. Imaginez rien qu’un instant, l’itinéraire téméraire de l’orga, entre la salle Victoire et le Rockstore, comptez une dizaine d’heures d’intervalles avant que s’exécutent sur scène : Old Iron, Verdun, Brutus, Lost In Kiev, This Will Destroy You et The Ocean ! Un élan de vitalité dont la ville de Montpellier avait sérieusement besoin. Ouais, WhatTheFest redonne à la ville son titre de noblesse, comme temple de la musique thaumaturgique.
Première partie : Les accents sont toujours forts
La vocation de WhatTheFest c’est un peu comme un don d’organes permanent, et pas n’importe lequel, essentiellement le cœur, tout est livré avec amour. Tentons donc de décrire l’ambiance qui régnait depuis les loges, de la scène et jusqu’au public. L’affiche du samedi 14 octobre à la salle Victoire 2, annonçait The Christian Club en ouverture, le duo proposait une musique dont les gammes modales sont articulées autour du violoncelle et de la guitare.
Puis Old Iron, groupe américain culte de sludge, prend le public à revers avec une décharge de plomb dont seuls Jesse Roberts et ses deux compagnons ont le secret. Leur prestation a fait vibrer les murs, avant que Verdun ne vienne asséner les retardataires de quelques directs à couper le souffle. Les deux formations ont d’ailleurs enregistré un split, et ont pris depuis la route pour une tournée. On retiendra de Old Iron, la basse baveuse, le chant éléphantesque et cette batterie non académique, percussive, hypnotique. La jonction avec Verdun est proche tout en étant antagoniste, la prestation du groupe doom Montpelliérain, nous invite à rester attentifs à ce que chaque musicien veut nous transmettre, les prétentions commerciales sont remises en arrière-plan.
Voici qu’apparait Brutus, formation triangulaire, respectant une géométrie scénique où Stephanie Mannaerts se lance dans une fougue rythmique doublée de prouesses vocales, singularité du trio belge. Que ce soient des titres comme « War », « What Have We Done » ou le final « Victoria », les versions live du répertoire de Brutus sont succinctes, sans pour autant retrancher toute cette densité musicale, mais ce lyrisme magique se pare d’une profondeur que la reverb intensifie. À la beauté du geste, s’ajoute en un instant fugitif, l’esquisse d’un sourire. Derrière la connotation abrupte qui lui est assignée, Brutus a su démontrer que la finesse, la beauté et l’impétuosité constituent les facettes d’une pierre précieuse composées de plusieurs éléments qui, associés, forment un tout homogène d’une grande complexité. Un bloc charbonneux capable d’enflammer les passions, dont la calamine qui reste après combustion, est l’épuration de l’âme.
Deuxième partie : Les abscons ont rarement raison
C’est un dimanche comme les autres dans le calendrier, dans le cadran où s’empaillent les heures. Mais ce 15 octobre, direction le Rockstore avec une nouvelle affiche alléchante, Muriel la tête pensante d’ExTenebris Lux de toute sa modestie, vous dirait « j’ai bavé exprès » devant un parterre de fans quelque peu encore sonnés de la veille. Deuxième round, s’enchaine, non pas la trilogie d’un samedi soir, mais la promesse d’un dimanche où les dévots du rock se sont réunis pour finir en beauté un week-end musical avant de se rebrancher sur la trinité travail-bouffe-dodo. Ouvrons la parenthèse, et prenons le temps d’oublier le monde extérieur. Entrez dans la bulle, et fermez la porte à vos soucis. Rien de tel qu’une entrée en matière post-rock avec Lost In Kiev, véritable surprise aux dires d’une partie du public qui semblait méconnaitre leur discographie, une existence ayant résisté aux obstacles du temps. Lost In Kiev s’est bâti une réputation en emboitant le pas des grands noms de la constellation post-rock comprenant Mogwai des débuts ou la musique nébuleuse du groupe américain Tristeza. Aux arpégiateurs se greffent des structures de guitares non pas répétitives, mais évolutives. Il faut laisser du temps au thème principal de s’enraciner pour en définir les contours. Cette évasion nécessite une certaine concentration. Les reliefs, les nuances et toute la tristesse possible se sont maintenus avec le retour triomphal du groupe de Jeremy Galindo, This Will Destroy You, les compositions basculent vers un éclatement instrumental, en atomes déformés, qui, sous la forme de boomerangs d’accords, tournent jusqu’au vertige pour atteindre l’apogée, avant de céder à une soudaine redescente.
Venons-en à la tête d’affiche : il faut préciser que le groupe The Ocean, porté depuis 2003 par son fondateur, Robin Staps, n’a cessé d’approfondir des thématiques et des concepts différents. Le projet initial était à géométrie variable, mais depuis l’arrivée de Loïc Rossetti, le collectif s’est renforcé autour d’un noyau stable, chaque album étant la non-répétition du précédent. Loin du groupe l’idée de se livrer à des procédés d’initiations mystiques qui renvoient à la plus suspecte primitivité, au contraire, on observe une topographie dans l’ensemble de l’œuvre du collectif passant des abysses aux sphères célestes. Robin Staps qui officie en tant que guitariste, est aussi le créateur du fameux label Pelagic Records. La prestation du groupe a été le point culminant de cette soirée, l’énergie s’étant décuplée, à mesure que le groupe égrenait une partie de sa discographie !
WhatThefest a réussi là où la culture mainstream ne fait que se répéter. Soyez donc prêts à finir le festival en beauté. Rendez-vous est pris le 28 octobre à la maison des chœurs et le 31 pour le grand final à l’opéra de Montpellier ! L’enjeu est grand et ce quelle que soit la taille des orgas qui entrent en jeu ! Forcément, la bamboche est loin d’être terminée !
Franck Irle