Emma Ruth Rundle + Jo Quail @ Opéra Salle Molière (Montpellier), 20/02/23
Si en ce bas monde, nombre de choses nous affectent, traçant le chemin de notre destin, certains moments provoquent des phénomènes synesthésiques, capables de nous dévier d’une trajectoire prédéfinie. Du fait de leur rareté, n’est-il pas essentiel de vivre en direct, qui plus est dans un lieu où les émotions s’agglomèrent, dans une intimité presque mystique ? C’est dans la salle Molière, de l’opéra de Montpellier que WhatTheFest a invité Jo Quail et Emma Ruth Rundle, pour une soirée qui restera gravée pour l’éternité, si tant est que cette notion puisse se mesurer à celle du temps terrestre.
Le paradoxe de la mélancolie est d’être aussi thérapeutique, rarement l’émotion aura autant été dépouillée que sur l’enregistrement de Engine of Hell, pièce maitresse d’Emma Ruth Rundle, emblématique d’une sensibilité exacerbée, une vulnérabilité qui devient le levier d’une inspiration intarissable et le dérivatif d’une souffrance implicite.
La tournée européenne de Jo et Emma résulte de la combinaison d’enregistrements communs et d’une amitié sincère. En témoigne leur complicité scénique, avec le titre « Citadel » joué en duo. Justement, revenons sur le déroulé de cette soirée.
L’ambiance qui régnait au sein du public était au diapason de la musique charnelle de Jo Quail, et son violoncelle fabriqué sur mesure, dont les compositions se construisent à partir d’une base mélodique ou rythmique, par le biais de loopers et de pédales d’effets.
L’amorce de la prestation féérique de Jo embrasse les plafonds peinturlurés, remplit chaque espace. Percutant les cordes, aux glissandos se greffent toute une structure élaborée, parsemée de saturations, d’harmoniques, de pizzicatos. Jo Quail explique entre chaque titre, l’origine et la thématique de la composition à venir. Fait notable, la proximité avec son instrument est telle que des morceaux comme « South West Night » ou « Forge » se transforment, se dilatent au point d’être méconnaissables. 45 minutes d’envol à bord d’un vaisseau spécial dans une atmosphère aérienne, envoûtante.
Court entracte, et voici qu’apparaît Emma, fantomatique, entonnant au piano « Return » qui inaugure Engine of Hell. Comment ne pas manquer de mots devant le furtif et l’infiniment présent ? Comment décrire ce qui nous échappe, au delà de la beauté, quand une légèreté inhabituelle se glisse dans la pesanteur du monde ?
Cette voix telle une fumée qui danse et qui s’évapore en volutes, se brise comme des éclats de cristal. Une fois prononcés, les mots se dissolvent dans l’éther pour se fondre dans les parois de l’Opéra. Chaque titre est ponctué par des anecdotes, notamment sur le caractère éprouvant de cette tournée, et puis au milieu d’échanges timides avec le public, s’esquisse alors le sourire d’Emma. L’intégralité de Engine of Hell est interprété, Emma alternant piano et guitare. Elle se remémore des bribes de souvenirs, se confie sur son passé, évoquant des journées champêtres, comme autant de moments d’insouciance mais aussi de profonde détresse. C’est une véritable introspection à laquelle se livre Emma Ruth Rundle, sans filtres, ni artifices. Sa gestuelle capture la lumière, et devient une danse, un prolongement des mots qu’elle formule comme pour leur donner une substance. Une communion qui s’exprime au-delà du langage.
Alors que la fin de la prestation approche, Emma propose au public deux choix. Soit le traditionnel rappel soit jouer deux titres que lui suggère l’audience. Ce sera donc « Marked for Death » et « Pump Organ Song » en guise de conclusion. Sur une dernière note, elle quitte la scène.
Le public hétéroclite rejoindra Emma au stand du merchandising, où elle recevra même des offrandes de la part de fans inconditionnels. C’est dire combien cette date est mémorable, un moment de partage unique à jamais gravé dans le marbre. WhatTheFest a réussi une nouvelle fois à marquer les esprits.
Mission accomplie avec brio.
Franck Irle
Setlist JQ : Rex Infractus – South West Night – Gold – Forge
Setlist ERR : Return – Blooms of Oblivion – Body – The Company – Dancing Man – Razor’s Edge – Citadel (with Jo Quail) – In My Afterlife – Marked for Death – Pump Organ Song