Bob Dylan – Highway 61 Revisited (Columbia)

Publié par le 6 avril 2013 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

Highway 61 RevisitedJ’aime les défis et j’aime écrire sur la musique. Donc, une fois que j’ai dit ça, il me semble indispensable de venir vous parler ici d’un très grand auteur-compositeur, une des figures majeures de la musique contemporaine américaine. Une véritable icône : j’ai nommé Robert Allen Zimmerman, alias Bob Dylan, alias Lucky Wilbury, alias Emer Johnson, alias, alias, alias…

Ce type qui s’est engagé depuis quelques années dans un « Never Ending Tour », a tout vu et tout vécu ; joies, peines, dépression, accident de moto, conversion au christianisme et bien entendu contribué au patrimoine mondial de l’humanité (je pèse mes mots), car en tant qu’extraordinaire songwriter, il a pondu un nombre incroyable de chefs-d’œuvres, dont la liste est trop longue pour la livrer ici en exhaustivité. Contemporain des Beatles, depuis 50 ans sur la brèche et toujours là ! L’un des artistes les plus vénérés par plusieurs générations de rockers, dont le nombre de chansons repris par des multitudes de musiciens (je ne parle pas seulement de Hugues Aufray les gars !) est tout simplement sidérant. Dylan, dont les textes sont aujourd’hui étudiés en littérature américaine est tout simplement un géant.

Le premier album de Dylan publié en 1962 ne contient quasiment que des reprises folk et blues, sauf deux titres composés par Dylan, dont « Song To Woody ». Il s’agit d’un hommage à Woody Guthrie, une figure mythique de la musique folk américaine, qui sera une influence majeure pour le jeune Dylan (Bowie, grand admirateur de Dylan, en écho à cette chanson, publiera sur l’album Hunky Dory, « Song To Bob Dylan » en hommage au Zim). C’est pour rencontrer Guthrie que Dylan quitte son Minnesota natal et monte à New York. Début de carrière bohème dans le Greenwich Village, où il va prendre ses marques et son envol. Ses autres influences sont littéraires : les écrivains de la Beat Generation : Ginsberg, Kerouak mais également Brecht et Rimbaud. Et oui, Dylan ce n’est pas que de la musique, c’est une plume comme on dit.

Au début de sa carrière il est l’un des porte-paroles de la musique Folk, guitare sèche, harmonica, voix nasillarde reconnaissable entre mille, et textes alternant poésie et revendication politique. Dylan incarne la voix d’une génération dégoutée par les injustices de l’Amérique raciste d’alors. « Blowin’ In The Wind », chanson parue en 1963 sur l’album The Freewheelin’ Bob Dylan, qui deviendra un hymne sur tous les campus universitaires en est l’illustration parfaite. Cet album est le premier d’un ensemble baptisé la trilogie Folk de Dylan, textes magnifiés par sa voix, mélodies simples mais implacables, il entre directement dans la cour des grands et trouve immédiatement son public.

Le hic, c’est qu’en 1965, ce folkeux pur-jus, captant l’électricité dans l’air du temps, prend un virage artistique radical et branche les guitares, son public historique reste incrédule. Ils crient à la trahison et affichent un rejet violent de celui qui incarnait le Folk jusqu’alors. Dylan n’en a clairement rien à foutre, artiste indépendant, il veut jouer la musique qui l’inspire et voit bien où se trouve sa voie. Il restera malgré tout fortement marqué par l’attitude de son premier public. Le disque contient quelques inspirations sublimes, comme « Subterranean Homesick Blues », mise en image de manière révolutionnaire, vidéo clip qui sera détourné par la suite un nombre incalculable de fois, dans lequel on voit Dylan au look transformé, cheveux longs bouclés, en jeans serrés et bottines, qui fait défiler le texte de la chanson sur des cartons face à la caméra.

D’autres futurs classiques de Dylan figurent sur ce disque essentiel, « Mr Tambourine Man », « Gates Of Eden » ou « Maggie’s Farm », dont Rage Against The Machine tirera une reprise décapante bien plus tard sur leur album Renegades.

La joie de jouer et d’enregistrer ce disque transpirent dans la première prise du morceau « Bob Dylan 115th Dream ». Après quelques notes, Dylan éclate d’un rire communicatif, tout le monde s’arrête, plié de rire. Cette première prise a été conservée sur l’album, et c’est un vrai témoignage du climat qui animait ces sessions. Dylan s’éclate, il enregistre de grandes chansons et il le sait.

Mais le meilleur reste à venir. À peine quelques mois plus tard, Dylan remet le couvert et met tout le monde d’accord et à genoux, en publiant Highway 61 Revisited. Sur la pochette, Dylan en chemise à motifs psychédéliques sur un tee shirt « Triumph Motorcycles » a le regard perdu et songeur. Sait-il qu’il vient de publier un disque, qui est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la Rock Music ? Après ce disque, rien ne sera plus jamais comme avant et Dylan va influencer tous les artistes majeurs en devenir : Stones, Beatles, Hendrix, etc…

Le morceau d’ouverture est le fantastique « Like A Rolling Stone ». « How does it feel, how does it feel, to be without a home, like a complete unknown, like a rolling stone » clame Dylan dans le refrain rageur. Ce morceau, emblématique à plus d’un titre, restera comme l’une des chansons les plus représentatives des années 60. Elle n’a pas influencé les Stones dans le choix de leur patronyme, puisqu’ils étaient déjà « The Rolling Stones » avant cela. Ils livreront néanmoins, lors de la tournée Stripped , bien plus tard, dans de petites salles européennes, une version vibrante de cet hymne, sur laquelle à cette occasion, Mick ressortira son harmonica couvert de poussière, Keith balançant un « Thank you Bob » émouvant à la fin du morceau. Cela veut tout dire sur l’importance que revêt Dylan pour nombre de ses pairs.

Après cette entame, difficile d’aller plus haut, mais Dylan en forme olympique, continue sur sa lancée. Il balance le survitaminé « Tombstone Blues », textes surréalistes sur un rythme effréné et guitares électriques au premier plan. Le disque est parcouru d’une longue veine bluesy, puisque les morceaux suivants « It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Lot To Cry », « Just Like Tom Thumb’s Blues » et « From A Buick 6 » sont la parfaite illustration que Dylan a défriché une voie dans laquelle il excelle.

L’autre versant de l’album ce sont des merveilles de ballades : « Queen Jane Approximately », la déchirante « Ballad Of A Thin Man » ou le morceau de bravoure « Desolation Row », un des sommets de la carrière de Dylan, sur lequel seulement accompagné d’une guitare acoustique et de son harmonica, il déclame un long poème moderne et désabusé, vision mi-réaliste mi-onirique du monde qui l’entoure.

Le titre éponyme, ponctué de bruits de klaxons et sirènes simulés par les guitares du band, est sans conteste le plus fun du disque. Encore une fois, Dylan se montre sarcastique (une constante dans sa carrière), et raconte des histoires loufoques de marginaux pour qui tout se termine immanquablement sur la Highway 61 (qui traversait son bled natal Duluth).

Loin d’être las, Dylan publie en 1966 le premier double album de l’histoire du rock, l’extraordinaire Blonde On Blonde, qui s’ouvre sur le déjanté « Rainy Day Women # 12 & 35 » où accompagné d’une fanfare il gueule hilare « Everybody Must Get Stoned » ! D’autres sommets de sa carrière,  bouleversantes chansons d’amour : « I Want You », et « Just Like A Woman » et quelques blues bien sentis et gorgés d’électricité comme « Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again » ou « Leonard-Skin Pill-Box Hat » parsèment ce disque phénoménal. Dylan ponctuait la quatrième face de ce double LP, avec la bouleversante « Sad Eyed Lady Of The Lowlands ».

Vous l’aurez compris, cela m’a été très difficile de ne retenir qu’un seul disque du grand Zim, c’est pourquoi j’ai parlé de ces trois albums majeurs, parus en 18 mois à peine. Cette trilogie qui constitue le grand œuvre de Dylan au mitan des sixties contemple le rock en ricanant depuis près de 40 ans. La carrière de Dylan sera ensuite constituée de très hauts (Blood On The Tracks ou Desire) dans les années 70 et de très bas. Comme les autres, il n’échappe pas aux baisses de régime, et sa période bondieusarde a été bien lourdingue. Mais depuis toujours, c’est l’homme des disparitions et des comebacks miraculeux comme Oh Mercy et Under The Red Sky, parus début des années 90. Il est toujours capable de dégainer une ou deux chansons à tomber raide, même si ses disques ne tiennent plus vraiment la distance, et qu’il a laissé sa voix en route.
De toute façon, vu le chemin parcouru et sachant qu’il a déjà frappé à la porte du paradis, tout le reste désormais ne peut être qu’anecdotique.
El Padre

 

Écoutez “Highway 61 Revisited”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *