The Doors – Absolutely Live (Elektra)
Le principe d’un album live est d’enregistrer, lors de concerts, la performance des artistes en direct et de capter non seulement l’ambiance de ces concerts, mais de restituer une partie de l’atmosphère qui existait autour de ces shows, l’émotion des musiciens et du public. En fonction du moment, de la forme des musiciens, ou du répertoire interprété, vous pouvez avoir des disques à tomber raide (Live At Leeds des Who) ou alors de vraies daubes (Love You Live des Stones).
Les Doors et Jim Morrison ont profondément marqué l’histoire de la musique Rock. Sur le double album Absolutely Live, l’impact de cette musique et du charisme de Morrison sur les foules est palpable, et ce disque est à marquer d’une pierre blanche dans la discographie des Doors. Notez que le titre certifiait que l’intégralité de ce qu’on entendait sur ces deux galettes avait été joué et donc enregistré en concert. Pas de tricherie (même si les morceaux sont piqués dans différents concerts), un son brut, de longues improvisations et des versions totalement différentes des morceaux hyper célèbres des Doors.
Évidemment tout le monde connaît les Doors et les talents d’écriture de Morrison, qui se revendiqua très vite poète plutôt que chanteur. Quand il lit ses premiers textes (dont “Moonlight Drive”) à Manzarek sur la plage de Venice, ils décident illico presto de monter un groupe. Tous deux étudiants en cinéma, se sont croisés tout d’abord à l’UCLA (University of California Los Angeles), avant de tout bazarder, cette vision ne les intéressant pas.
Le groupe se forme à l’été 1965, se joignent à Morrison et Manzarek, le batteur John Densmore et le talentueux guitariste Robbie Krieger. La formation ne bougera plus. Particularité notable, même si les Doors feront appel à de nombreux bassistes pour les enregistrements studio, il n’y a pas de bassiste attitré dans le groupe. Manzarek assure les basses dans les concerts, au clavier-basse Fender Rhodes.
Avant d’enregistrer le fantastique premier album éponyme, qui sera bouclé en studio dans un délai record d’une semaine, les Doors se font les dents durant de longs mois, sur les scènes du London Fog et du Whisky A Gogo, deux bars branchés de LA. Les performances de Morrison commencent à attirer la foule, notamment féminine. Très vite, après le premier disque, c’est la gloire. Morrison devient une icône, un sex-symbol. Beau comme un dieu grec, chanteur fantastique, et chose rare dans le Rock, c’est un poète (il inspirera beaucoup Patti Smith).
Personnage d’une grande complexité, Morrison est torturé, par son passé, la carrière militaire de son père, qu’il déclarera mort dès les premières interviews qu’il donnera. En plus de son immense talent, ses dérapages pas toujours contrôlés et sa mort prématurée (d’une OD sinistre et solitaire à Paris) ont fait de lui un artiste maudit, culte, immortel. Morrison appartient lui aussi au fameux club des 27, complété l’an dernier par Amy Winehouse, et fait toujours l’objet d’un culte qui ne s’éteint pas, plus de 40 ans après sa mort.
Absolutely Live paraît en 1970, calé entre l’excellent Morrison Hotel et le fantastique LA Woman, dernier album enregistré par les Doors avec Morrison. C’est un témoignage de la longue tournée qui a conduit les Doors à travers les USA durant de longs mois. Les quatre faces du disque offrent d’excellentes versions des titres enregistrés durant les premières années du groupe.
Le premier morceau, lancé par Densmore aux baguettes, puis relayé par le clavier (basse et aigü), et la guitare aux effets larsen est « Who Do You Love » de Bo Diddley, interprété également à l’époque par Quicksilver Messenger Service, qu’ils ont enregistré sur un autre live de cette période, le célèbre « Happy Trails ». Grande version très blues, gorgée de la sensualité dégagée par Morrison, où Krieger fait merveille.
Suit le premier « medley » du disque, quatre titre mêlés, dont deux morceaux du premier album, le titre aux sonorités cabaret de Kurt Weill, « Alabama Song », et le surpuissant « Backdoor man ». Introduit par un hurlement de fauve poussé par Morrison, Manzarek plaque les accords du célèbre morceau de Willie Dixon. Krieger, encore une fois épate la galerie, et Morrison très en voix tient le haut du pavé. « Love Hides » et « Five To One » sont joués dans la continuité, l’ensemble est très fluide, et donne l’impression que c’est toujours le même titre. Je ne sais pas si les Doors interprétaient l’ensemble de ces chansons dans un enchaînement logique, mais le résultat est saisissant. Un des premiers sommets du disque.
« Build Me A Woman » , solide blues, sur lequel le clavier de Manzarek, fait oublier l’absence de bassiste, avec encore un joli solo de Krieger.
Grande envolée lyrique sur « When The Music’s Over », grand classique des Doors, tiré du second album Strange Days, qui là est étiré sur plus de 16 minutes. Rythme lent, porté par les trois larrons, le morceau est lancinant, avec de longs passages psychédéliques où Krieger s’illustre à nouveau, entrecoupés de breaks où Morrison parle plus qu’il ne chante, on entre dans le Morrison show, il alterne passages calmes et frénétiques. Il joue avec le public, réclame le silence avec un vigoureux « shut up », et demande aux spectateurs si c’est vraiment une manière de se comporter dans un concert de Rock. Passage proprement génial, quand on connait le gout de la provoc de Morrison. Hurlement du shaman, « we want the world and we want it now ! », avant l’embardée finale « Music is your only friend, until the end ».
« Close To U », blues-rock assez classique, mais pas si anecdotique car interprétée par Manzarek. Où était passé Morrison, en coulisses boire une bière ?
« Break On Through », grand classique du groupe est annoncé par une intro improvisée « Dead Cats, Dead Rats », poème de Morrison, souligné par le riff célébrissime de cette chanson. Premier titre du premier album, cette chanson est un appel à passer de l’autre côté, appel évident à la drogue, genre très tendance à l’époque (cf premier album de Jimi Hendrix par exemple).
« Celebration Of The Lizard » est une longue suite musicale composée de plusieurs pièces, sur lesquelles Morrison a écrit un très long poème. Cette composition n’a jamais été enregistrée en studio, le seul témoignage gravé est cette version live.
« Is anybody in, the ceremony is about to begin » ! « Wake up » hurle Morrison pour lancer le délire. Le roi Lézard mène la transe et la danse sur de la musique entêtante, enivrante et dérangeante par moments. Morrison délivre son message « I am the lizard king, I can do anything, I can stop the earth in his tracks ». La construction du morceau, sa substance, paraissent évidemment très surprenants aujourd’hui et totalement hors norme. Longue improvisation poétique, sur laquelle les musiciens se lâchent et se laissent porter par l’imaginaire dégagé par les textes de Jim.
Il est clair que c’est le genre de prestation qu’on ne voyait pas et qu’on ne verra plus jamais lors de concerts de rock ! Ce qui faisait réellement de ce groupe un assemblage hors norme, porté par un chanteur habité.
Une longue version de « Soul Kitchen », encore tirée du premier album, referme ce disque. « Let me sleep all night in your soul kitchen, Warm my mind near your gentle stove ». Superbe interprétation par l’ensemble du groupe. « Alright, alright, alright » conclut Morrison. On est totalement d’accord avec lui. The Doors c’était fucking alright et ce disque est un putain d’album qui fera date. Après l’enregistrement de LA Woman, Morrison part à Paris pour se lance dans l’écriture pour de bon. Juste avant, il avait enregistré des poèmes en studio. En 1978, les Doors décident de publier un album avec ces textes, ce sera l’ultime contribution post-mortem à la musique de Jim Morrison, An American Prayer. The Doors sont hautement recommandés, sans respect de posologie, et la poésie de Jim également. Enfin, je retiendrai une image cinématographique, l’outro d’Apocalypse Now, gigantesque brasier sur « The End ». Chef-d’œuvre musical sur les images du chef-d’œuvre de Coppola. West is the Best ! Fantastique !
El Padre