Decasia – An Endless Feast for Hyenas
Voilà un trimestre de 2022 déjà envolé et pas de chronique pour du stoner ? C’était sans compter ce mail qui annonçait dès mi-janvier la signature de Decasia (trio originaire de Nantes) sur le label Heavy Psych Sounds Records… et un album pour avril. Structure qui accueille quelques noms comme Nick Olivieri, Brant Bjork, Stöner (leur nouveau band commun), et quelques pointures du genre comme Mondo Generator, Nebula ou les cultes Yawning Sons (je les aime).
Si Slift a déboité la concurrence hexagonale sur le créneau avec l’indépassable Ummon (sorti en 2020), un nombre conséquent de groupes (de talent) sévissent aussi par chez nous dans ce style qui hésite entre rock plus ou moins heavy (du garage au doom, ça peut brasser large) et envolées psyché, avec riffs et soli à l’avenant. Mars Red Sky (les patrons du game), Little Jimi, Tremor Ama, Stone from the Sky, les concurrents frenchies sont nombreux… Decasia peut-il venir manger à la même table avec ce premier album (après 2 EP et des lives depuis 2015) intitulé An Endless Feast for Hyenas ? Si vous trouvez le genre paresseux et vivant dans une nostalgie sonore, perdu dans le désert, quelque part entre Black Sabbath et Kyuss, le tout sous 40°c à l’ombre, un fumet suspect de substances psychotropes dans l’air… vous pouvez passer votre chemin. Ce sous-genre du rock peut paraître effectivement monolithique et pas forcément novateur. Decasia ne risque pas forcément de changer votre opinion. Par contre, si vous êtes plutôt team riffs et lead guitar aventureuse pas avare en digressions instrumentales (je n’ai pas dit prog à synthés non plus), vous pouvez peut-être rester.
Et dès l’inaugural « Ilion » prendre la rafale. En 3 minutes chrono, le pied sur l’accélérateur, le trio va poser un petit tube riffesque que n’aurait pas renié Slift. Comme cet interlude éthéré (« Soft Was the Night ») qui coupe l’album en deux et fait office de répit après une première partie de disque qui ne nous a pas laissé souffler. Decasia pratique en effet une musique à haute énergie pas avare en rythmiques puissantes mais qui use habilement de compositions à tiroirs pour mieux surprendre l’auditeur, bien aidé par une batterie habile qui varie bien les tempi. Le chant bien en avant et un goût prononcé pour descendre les pentes en lâchant les freins les rapproche ainsi plus d’un QOTSA que de la lourdeur rythmique façon bulldozer de Kyuss. Ce n’est que sur la fin avec un « Hyenas at the Gates » lo-fi (on entend quelqu’un descendre l’escalier), à la guitare acoustique, que l’on quittera l’urgence. Au son de la pluie (ou des bûches qui crépitent ?), la voix réverbérée remplit une dernière fois l’espace (l’album a été enregistré à la campagne en Auvergne). Auparavant et sur une première partie d’album furieuse, le trio déroule un stoner solide pas exempt de surprises. Comme cette intro slidée et cette rythmique orientalisante sur « Cloud Sultan », titre bluesy impeccable de 7 minutes qui alterne rythmiques massives comme des coups de boutoirs et une guitare lead baladeuse, entre riffs lumineux et envolées psyché. La tension couvait déjà sur « Hrosshveli’s Ode » au rythme lancinant d’une basse ronde avant que des bends stridents de guitares n’embrasent ce deuxième titre. Mention spéciale à l’énorme « Override » à l’intro spatiale avant un décollage qui annonce un voyage mouvementé. Au gré de changements de rythmes incessants qui rendent le trip addictif et instable. Entre piqués supersoniques, trous d’air et vols planés sereins. Le groupe a déjà rodé sa recette sur de nombreuses scènes. Cela s’entend. Il manie habilement la tension et l’énergie dans des compositions dynamiques. Notamment sur une deuxième partie de disque plus subtile qu’il n’y parait. Sur « Skeleton Void », malgré la basse bondissante, un petit riff psyché et l’incursion de nombreux overdubs vocaux, on sent pourtant vite le titre prêt à s’enflammer à la moindre étincelle. A la 3e minute, la guitare lead s’affole effectivement, s’embrase, les breaks pleuvent et le titre s’envole vers un des sommets du disque. Quand ça riffe comme ça… 7 minutes de classe. Derrière ? On remet ça. Intro élégante, guitare clean en sourdine, clavier discret, la basse ronde, « Laniakea Falls » se déploie progressivement. Et on jurerait entendre vers la moitié du titre le grain rocailleux de la guitare d’un Josh Homme du temps reculé de Kyuss. Comme le titre dure pas loin de 7 minutes 30, on a encore le temps de s’envoyer un petit solo gourmand avant de se faire… rouler dessus par un bulldozer sur la fin. Et on adore en plus ! « Sunrise » rappuie ensuite une dernière fois sur l’accélérateur pour un nouveau titre dévalé tambour battant, la six-cordes, rougeoyante, qui fume. Plus classique mais pas moins efficace.
Moins stellaire et hypnotique que Slift, moins doom que Mars Red Sky, moins post-whatever que Stone from the Sky, le trio Decasia trouve pourtant sa place avec un stoner dynamique à haute énergie (et vocalement puissant). Le genre a décidément de beaux jours devant lui, une scène fertile aux quatre coins de la planète, soutenu par un public de niche fidèle, avide de rock puissant et de guitares aériennes. Ça n’invente pas l’eau chaude certes (Kyuss lives toujours et l’ombre du Black Sabbath plane) mais ça suinte le rock’n’roll par tout les pores. Et riffera bien qui riffera le dernier.
Sonicdragao