deathcrash – Less
Voilà ce qui arrive lorsqu’on sort un EP qui frôle les 45 minutes (pour seulement 3 morceaux) ! Forcément, le premier album se doit d’être un poil plus long, disons une bonne heure. Puis arrive le temps du second album et là, on se dit que si on veut sortir un disque par an, il va falloir réduire la voilure. C’est à peu près ce qui a dû arriver aux Londoniens de deathcrash (sans majuscule, donc), d’où probablement le titre de ce second album, Less, qui se trouve au final être moins long que l’EP inaugural.
Sur la forme, le propos reste à peu près le même, et les influences omniprésentes. Le fan de slowcore et post-rock n’aura de cesse de relever des éléments sonores évoquant tel ou tel groupe. Et il faut dire que les Anglais ne sont pas avares pour évoquer leurs amours musicales. Si l’influence de Slint se fait moins sentir que sur leur précédent album Return paru en 2022, avec notamment moins d’alternances calme/bruit, le goût est toujours là pour des compositions raisonnablement complexes, privilégiant d’abord l’expression de la mélancolie, sans artifice, presque tactile, qui irrigue le disque. À ce titre, le premier morceau, « Pirouette », est remarquable, petit chef-d’œuvre de slowcore à lui tout seul. D’une bafouille de guitares et de batterie hésitantes (sorte de mélange des intros de « Heroin » et « Blue Line Swinger ») émerge une introduction qui s’étire sur trois bonnes minutes, et lorsque la voix (usée) arrive, le morceau ralentit au point qu’il semble s’éteindre. Il ne tient qu’à une syllabe et une corde pour qu’il reparte et cette fois nous emporte dans un entrelacs d’arpèges de guitares et de basse mêlé à des vocaux vaporeux, avant de ralentir à nouveau et s’arrêter pour de bon.
Si la production est extrêmement soignée, et le son plus étoffé que précédemment, on sent globalement un certain dépouillement à l’œuvre dans les morceaux, là aussi en phase avec le titre de l’album. Exit les extraits d’enregistrements vocaux qui, sur le premier album, apportaient une certaine couleur et une diversité (on avait beaucoup aimé celui du DJ évoquant avec passion la découverte d’une version inédite d’un morceau de Donovan, ou le bout d’interview de Mark Linkous parlant de sa dépression). Terminés aussi les murmures précédant la tempête et les voix parlées, qui rappelaient un peu trop Slint et Arab Strap. Bref, il y a une envie, certes louable, de soigner les parties vocales, et ainsi affirmer une personnalité propre, mais qui a peut-être tendance à formater les morceaux. Et voit les Anglais partir dans des directions emo, voire pop, qui ne sont pas ce qu’on préfère chez eux (on pense à « Empty Heavy », ou « Distance Song » sur lequel on jurerait entendre… Weezer).
Parmi les réussites du disque, citons le fantastique instrumental « Now I Am Lit » et ses guitares cotonneuses, qui évoque irrémédiablement The Album Leaf et Mogwai, et « Duffy’s », dont la ligne claire et les distorsions à fleur de peau rappellent le début de Sparklehorse. Ici, c’est un sentiment de douceur qui prédomine. Sur la fin du disque, en revanche, les éclaircies se font plus rares, et la franche dépression devient omniprésente. On pense à Codeine sur l’inquiétant et final « Dead, Crashed », avec ses guitares distordues qui s’étirent jusqu’à laisser place à un silence lourd de tristesse, sur lequel vient se poser une voix épuisée (décidément), avant qu’à nouveau des cris nous tirent de la torpeur. Heureusement, sur les toutes dernières minutes du morceau, on retrouve les accents lumineux du début. Merci à eux.
Quoi qu’il en soit, de toute la scène londonienne actuelle qui se réclame du post-rock, deathcrash est celui qui nous touche le plus (avec Caroline, dont une moitié seulement du premier album nous avait convaincus l’année dernière), loin devant les poussifs Black Country, New Road (à qui l’on doit tout de même de les avoir fait sortir de l’anonymat en les invitant en première partie d’une de leurs tournées), ou black midi dont le virage prog-rock a fini de nous lasser pour de bon. Groupe le moins expérimental et le moins poseur de toute cette bande, à la mélancolie affichée et sincère, reconnaissant sans peine toutes les influences qu’on lui prête, deathcrash exprime ses états d’âme en toute humilité et s’applique à le faire bien, tout en cherchant son identité propre. Plus court et moins varié que le précédent (mais aussi mieux produit), Less n’en reste pas moins un des plus beaux disques de ce début d’année.
Bastien