Clara Engel – Sanguinaria
« Je n’écris jamais la même chanson mais j’en écris une en continu, qui se terminera quand je mourrai. »
C’est par ces mots que Clara Engel dévoile ses intentions. Cet album tourne comme un film auditif, chaque chanson est la partition d’une portion du temps multipliée en une centaine de nos années humaines. Depuis 2014, c’est en solitaire que Clara défie le miroir des illusions.
Fait marquant dans sa musique : on ne trouve aucun maniérisme, tout est exprimé à fleur de peau, dans sa nudité immatérielle. Sanguinaria incarne un folk dépouillé, ficelé de petits détails qu’il faut absorber lentement, la voix de Clara irrigue la terre des forêts, elle s’enracine en profondeur. S’inspirant de la nature jusqu’à évoquer un poison, Sanguinaria revêt la couleur pourpre d’une vision nocturne fugitive, la synchronie d’une expérience hallucinatoire. Et ce voyage démarre dès « Sing in Our Chains », on entre dans un monde, intangible et pourtant réel. Les tonalités ont l’aspect de ces comptines « d’autrefois » égrénées avec une lucidité confondante, les textes ici côtoient le surnaturel, comme dans son album précédent Their Invisible Hands (le morceau « Glass Mountain » notamment), sa voix danse sur les textures d’arpèges, elle est une onde à la surface de l’eau, une vapeur dans l’espace, en contemplant l’infini, on voit aussi se dessiner des récits rapportés depuis les antipodes. Cet album est une excellente amorce pour qui veut découvrir la musique hantée de Clara Engel.
L’adjonction d’instruments comme la talharpa (« Poisonous Fruit »), le gudok, délimite un territoire que seule la lumière révèle, apparaît un lapin évoquant Lewis Carroll. Sauf qu’ici, voix et guitare tissent une toile intemporelle, des lignes de fuite menant vers des virages inattendus, des changements modaux. L’étrange breuvage initiatique (« Bridge Behind the Sun ») offre une expérience transcendante, la quête d’un autre monde avec la clé du chant. Les textes ont une signification particulière, chaque titre peut être interprété de plusieurs manières, chacun gardant sa part de mystère. Clara essaie de nous faire comprendre ce qui nous entoure, de dépasser les frontières des sens, en accompagnant les mouvements de la nature. Une musique, si ce n’est une drogue auditive encline à nous envelopper dans un cocon à l’abri du tumulte du monde extérieur.
Franck Irle