Calexico – Feast of Wire (rééd.)
En 2003, Calexico, le groupe formé autour du duo Joey Burns-John Convertino n’en est plus à son coup d’essai. Après un premier album confidentiel en 1996 (Spoke) et deux suivants (The Black Light et Hot Rail) qui ont récolté un succès critique et public (100 000 disques vendus pour Hot Rail rien qu’en Europe par exemple), le groupe sortait Feast of Wire qui fête donc cette année ses vingt ans. Avec une réédition agrémentée d’un titre bonus et de dix titres lives… Et une tournée spéciale où le groupe jouera deux sets à chaque concert : un reprenant l’intégralité de l’album et un set classique des meilleurs titres du collectif américain.
D’ordinaire, je ne suis pas un bon client pour parler des initiatives de ce type mais — parce qu’il y a souvent un mais — Calexico est un groupe pour lequel j’ai une affection toute particulière. C’est déjà un des rares découverts à la fin des années 90 dont j’ai toujours suivi la moindre sortie d’album. En plus, ils n’en ont jamais sorti de mauvais. Claro que si. Et je les réécoute (très, très) régulièrement dès que le soleil m’envoie à l’extérieur pour bricoler ou jardiner par exemple. C’est souvent soit le groupe de Tucson ou Neil Young et Harvest. Gojira, mes voisins kiffent moins aussi. Et si je me lance, hardi, dans quelques pas de danse, c’est souvent « Cumbia de Donde », « Inspiracion » ou « Minas de Cobre » qui tournent à la maison. Feast of Wire n’est certes pas mon Calexico préféré (hello, The Black Light ou Edge of the Sun) mais il résonne avec l’actualité (mondiale) de manière troublante.
Comme toujours, la musique invite au voyage dans un Ouest américain fantasmé, le soleil brûlant rendant l’horizon trouble au loin. « Pepita », un des sept instrumentaux aurait ainsi mérité d’ouvrir le disque tant il évoque ces vastes espaces et des routes infinies. Et « Whipping the Horse’s Eyes » de le clôturer. Mais c’est bien du mirage du rêve américain et des périples incertains des migrants venus de l’Amérique latine ou du Mexique voisin pour trouver un meilleur destin dont il est souvent question dans cet album. À la fin d’un « No Doze » crépusculaire qui met un terme à l’album, on trouve ce vers presque funeste :
« No angels dear / Will find us here »
Les États-Unis ont érigé un mur pour faire barrage à l’afflux des migrants, les gouvernements européens les regardent se noyer en Mer Méditerranée ou dans la Manche. Et le pays des Lumières lacère leurs tentes à Calais quand ils ont pu se frayer un chemin jusque-là. A sa manière, Calexico raconte dans sa musique mélancolique de funestes odyssées anonymes. Sur un album, comme le dernier épisode d’une trilogie entamée avec The Black Light et Hot Rail et qui raconte une certaine histoire de l’Amérique. Les destins, parfois brisés, de ceux qui quittent leur terre natale, quelque argent en poche et du courage comme maigre bagage. Pour une nouvelle vie, supposée plus douce.
« Washed my face in the rivers of empire / Made my bed from a cardboard crate / Down in the City of Quartz / No news, no new regrets »
Le disque s’ouvre ainsi sur « Sunken Waltz » et son rythme tranquille, faussement serein. Dans un début d’album parfait (si l’on oublie les vingt secondes d’interlude de « Stucco »), Calexico dévoile une fois de plus son talent d’orfèvre. La batterie experte de John Convertino passe ainsi de la valse initiale au rythme plus chaloupé du superbe « Quattro (World Drifts In) », modèle du style Calexico, guitar licks addictifs et cuivres en avant, où Joey Burns pose un beau texte.
« Love the run but not the race / All alone in a silent way / World drifts in and the world’s a stranger »
Mais les cordes lancinantes de « Black Heart » viennent rapidement doucher tout début d’enthousiasme. Les envolées sublimes de Joey Burns sur les « refrains » ne font pas oublier la teneur sombre de l’histoire. Et l’outro tragique de violons renseigne sur la destinée de ce périple.
« Trip on fence post line / Sifting through the remains / One man’s close pursuit is another man’s / Last chance, make it through the divide / Last chance, suffer the weight or get buried by this / Black heart, sweeping over the land / Black heart, crawling its way / To the four corners of the world »
On reprend alors la route avec « Pepita », vers l’inconnu. Le folk presque enjoué de « Not Even Stevie Nicks » offre un répit bienvenu avant « Close Behind ». Un instrumental signature du groupe de Tucson, et l’un des rares titres du disque vraiment solaire. On pourrait ajouter « Across the Wire » et son rythme de fiesta à l’hacienda si ce n’était son histoire incertaine de voyage pour traverser la frontière. Ou l’étonnant « Guero Canelo », presque hip-hop dans son phrasé et dont le rythme dansant racontant un Los Angeles interlope loin de Hollywood… fut pourtant porté à l’écran par un certain Michael Mann pour un des ses plus grands films (le crépusculaire Collatéral).
Car si le groupe innove quelque peu sur ce disque en s’aventurant vers le jazz (« Dub Latina », l’excellent « Crumble » et son solo), voire en incorporant quelques bribes d’électronique (« Attack El Robot! Attack », « Guero Canelo »), les instrumentaux suintent également d’une mélancolie particulière sur cet album (« Dub Latina », le piano lointain de « The Book and the Canal »). Calexico abandonnera pour une fois tout titre instrumental sur son album suivant (Garden Ruin) pour explorer d’autres territoires dans des compositions plus pop-friendly. L’excellent titre bonus « Alone Again or », marque bien cette tendance. Et s’il a été écarté de la version originelle de l’album, c’est juste qu’il dénotait sans doute avec l’ambiance générale du disque.
Calexico lui réserve pourtant la dernière place des dix titres live (tous issus des sessions de Feast of Wire donc), enregistrés au China Theatre de Stockholm le 25 avril 2003, qui constituent la seconde partie de cette réédition. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la setlist ici présentée reprend le meilleur de Feast of Wire en fait. Avec un « Pepita » (parfait) en ouverture. À noter également une version plus organique assez superbe de « Dub Latina », solo de trompette en prime. Si vous ne connaissez pas le groupe, c’est une porte d’entrée parfaite dans l’univers Calexico. Sur la tournée d’un de leurs disques majeurs.
Pour le fan, c’est quand même moins vital si vous possédez déjà l’album, car les versions live sont assez proches de celles du disque. J’aurais apprécié un peu de surprises voire plus de versions alternatives. Même si « Not Even Stevie Nicks » adopte un tempo un poil plus rapide ou que « Black Heart » présente une version plus énervée, guitares électriques à la limite de la (grosse) saturation. « Guero Canelo » perd aussi un peu de son étrangeté dans l’exercice du live avec un chant plus intelligible. Mais gagne des petits soli de cuivres et s’offre même une incursion des lyrics du « Desaparecido » de Manu Chao (!) dans une version qui déborde, pour une fois, du timing de l’album (presque six minutes ici).
Mais pour finir cette chronique, difficile de ne pas mentionner une des perles de ce disque. Le sublime « Woven Birds » dans sa version live (ou l’originale, parfaite aussi) où la voix de Joey Burns est plus touchante que jamais. Sur un de ces textes qui résume bien ce Feast of Wire.
« The plaza in the village / Where mission bells used to ring / Is now crumbled to a pile of stench and ruin / Even the swallows have vanished / No longer return every spring / All the blossoms are buried / ‘neath the waste / Out of the shadows grow hatred / Along the corridor crawls fear / Crushed by the promise of hope / That never returned / Watched with a hawk’s trained eye / The trees grow silent fruit / ‘neath a suffering sky / Those who have stayed, keep a flame / In memory of the fallen »
(À l’heure où la haine étend un linceul mortifère sur les ruines de nos démocraties, il n’est donc pas inutile de se souvenir que personne ne quitte sa terre natale le cœur léger. Et qu’un peu d’Humanité, elle, n’a jamais blessé personne. Et surtout pas un migrant.)
¡Gracias, Calexico!
Sonicdragao