Brother Dege – Aurora
Bougies et obscurité recommandées. À l’image du destin tragique de Townes Van Zandt, Brother Dege, a eu – in extremis – le temps d’achever Aurora qu’il considérait comme l’aboutissement d’une discographie initiée en 2004.
Dege Legg n’a cessé d’arpenter les territoires mythiques de la Louisiane, avec Trailerville, son premier album, où déjà préfiguraient des chansons gravées pour l’éternité. Le titre « Too Old to Die Young » de l’album suivant, était déjà l’épitaphe de son auteur, Quentin Tarantino l’utilisera même pour illustrer un passage de son film Django Unchained. C’est dire combien l’Americana est une musique enracinée dans une culture et un mode de vie à part, dont il faut faire un distinguo. Longtemps en rébellion face à l’esprit rabougri du Sud des Etats-Unis, Brother Dege revient sur ses terres natales, là où se croisent les outlaws qui n’ont jamais adhéré au rêve américain, où l’on s’enjaille sur les ossements des ancêtres que la terre vomit, des marécages dont il est difficile de s’extraire. Tout laisse à croire que la monotonie aride du désert rejoint l’anthropologie comme dans des motifs obsédants, dès que le son devient visible. En retirant le vernis d’une réalité maquillée, la musique génère une âme, des émotions, c’est en ce sens qu’œuvre Brother Dege.
Au premier abord, l’impression d’une mélancolie à fendre l’âme, mais en décodant les textes, on y discerne un altruisme que peu d’artistes osent exprimer aussi ouvertement. Écoutez « Climbing Ivy (Sleep Beside You) » où dobro et lapsteel s’étirent en une élasticité tonale quasi cinématographique. Parsemé de pistes instrumentales comme « Ouroboros » ou « Aurora », l’intégralité du disque est magnifié par une qualité de composition inaltérable. On pourra aisément écouter Brother Dege d’ici plusieurs décennies, comparé à de nombreux enregistrements boursouflés dont la trame aura vieilli prématurément. L’immense chanson « Where the Black Flowers Grow » semble avoir été écrite comme un présage, elle est cette voix flottante sous la coupole du firmament. N’est ce pas là comme recevoir en soi-même comme résonance, une bribe de solitude nécessaire ? La beauté a pour finalité de se révéler dramatique.
Franck Irle