Briqueville – IIII

Publié par le 18 novembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Pelagic, 3 Novembre 2023)

Au royaume du drone, la Belgique a une sacrée longueur d’avance. Il s’agit avant tout de la prédominance d’une scène dont l’alliance avec le sludge est le poinçon de formations telles que Wyatt E, Hemelbestormer sans écarter une certaine porosité avec le post rock. Briqueville est une énigme, le quintet cultive l’art de l’anonymat, derrière ce projet collectif, le ferment est essentiellement hérité d’une herméneutique du réel. Le fil conducteur avec le précédent album est cette énumération de titres nommés « AKTE », renforçant encore cet aspect monolithique, dans lesquels de petits détails ont une grande importance. « AKTE XVI » propulse l’auditoire dans une direction fantastique en tant que linceul ultime des ténèbres sous le couvert d’un voile d’une étrangeté atmosphérique. On ignore tout de cette main hideuse, tout porte à croire qu’elle a plongé dans la tourbe, et qu’elle vienne se saisir à nouveau d’êtres embourbés dans les abîmes. Comme victimes d’un rayon paralysant, nous voilà en proie à cette neurasthénie implacable. Activé par des leviers invisibles, le monde est pris au piège d’un manichéisme terrifiant, Briqueville cherche à nous en extraire, tout en transmettant une ambiance obsédante. Il faut passer par les chemins de feu, par les sentiers de glace, là où le pied imprime à la surface, d’étranges motifs, non pas comme des indices, mais des formes labyrinthiques.

Nous avons tous au moins en commun la même empathie qui, sur le simple fait nous éloigne et nous rapproche, cet humanisme dépourvu d’illusions, une lucidité en concomitance avec le réel. Briqueville s’est construit une légende en enterrant quelques exemplaires de son premier album paru en 2014 dans différents endroits, avec quelques indications pour localiser les disques, ce qui a créé dès le départ un lien avec les fans de la première heure. L’album IIII se caractérise par une musique répétitive, avec ses éclairs effroyables de violences inattendues, ponctués de chœurs surnaturels, de nappes synthétiques colossales, de râles (l’immense « AKTE XVII »). En cinq titres, Briqueville réussit à maintenir une tension avec en point d’orgue « AKTE XX » ( dont le riff évoque Grails ou Sleep par sa fluidité). Nous ne sommes pas des observateurs extérieurs, au contraire, nous entrons dans un univers archétypal vieux comme le monde, Briqueville s’en saisit pour renouer avec notre primitivisme, rédigeant les chapitres de notre propre anéantissement.

Franck Irle

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *