Blur – The Ballad of Darren
Et maintenant, quoi ? C’est l’interrogation mélancolique qui parcourt The Ballad of Darren, le magnifique neuvième album de Blur, qui est paru le 21 juillet, soit huit ans après The Magic Whip.
10 titres, 36 minutes et 3 secondes : que peut-on bien dire, en une grosse demi-heure à la production évidemment impeccable (signée James Ford, au Studio 13 de Londres et dans le Devon, homme pressé qui enchaîne en toute simplicité par le prochain Pet Shop Boys) ? On n’a pourtant pas eu tout à fait l’impression que huit années se sont écoulées depuis le précédent album, sans doute du fait de la flopée de Gorillaz – inégaux, des BO, des projets solos et autres sides de Damon Albarn et Graham Coxon, toujours accompagnés d’Alex James et Dave Rowntree.
Outre la production, tout est bien sûr parfait au royaume de Blur, en dépit de ce qui aurait pu passer pour des maniérismes. La pochette est illustrée par une très belle photo de Martin Parr de 2004, d’un homme qui nage dans une piscine écossaise ; le titre du disque fait référence au garde du corps de Damon Albarn ; et pourtant de toute cette élégante ironie émerge une sincérité simple assez imprévue.
Les deux moments de grâce de ce disque sont « Barbaric », merveilleux tube à l’enthousiasme sonore sur les ravages d’une rupture, et « The Narcissist », douce-amère démonstration d’égo à destination de l’époque et ses errances. Le single « St Charles Square » à lui seul réveille ce qu’on a tant aimé de Blur : la rythmique, le son, peut-être rien n’est-il perdu encore, nous disent les Londoniens ? C’est aussi le message de « The Rabbi », une chanson que l’on ne trouve que sur la version « Deluxe limitée » (cet agaçant impératif marketing dépossède aussi la version classique d’un deuxième titre plaisant quoiqu’un peu dégoulinant de cordes et de claviers, « The Swan »).
Car The Ballad of Darren est surtout un album de l’absence et de l’imagination. Du titre d’ouverture « The Ballad », élégant et épuré, à « Russian Strings », bluette évocation est-européenne en passant par « The Everglades (For Leonard) » – Cohen, ou « Far Away Island », le quotidien est manifestement hanté par les images passées, sans qu’on puisse pour autant leur accorder un objet bien défini. Parle-t-on de rupture amoureuse ? De vieillir, de changer ? S’agit-il alors d’un album apaisé, ou d’un bref point sur ce qu’est la vie des anciens cool kids des 90s, qui le sont encore, et qui le paient cher parfois ? Douceur à la mélancolie mélodieuse, dans le désespoir sous-terrain latent de la vie des quadras, il y a une lueur qui reste, jusqu’au tourbillon de bruit des dernières notes de « The Heights » sur lequel se clôt le disque.
Et c’est cette lueur qu’il faut retenir de The Ballad of Darren : à n’en pas douter, modern life is still rubbish, mais qu’il est bon en ce mois de juillet 2023 de retrouver un peu la bande-son des longs étés d’adolescence, où l’on rêvait d’outre-Manche en s’apitoyant sur nos amours déçues. Même s’il faut bien avouer que ce que l’on aurait préféré, au paradis rêvé de la Britpop, alors que le match est terminé depuis des décennies, c’est encore et toujours l’inespérable réunion castagne des frères Gallagher. Finalement, on est bien entouré par de beaux fantômes : « ‘Cause every generation has its gilded posers. »
Marie Garambois