Bärlin – State of Fear
On imagine aisément l’auditeur égaré tombant par mégarde sur la musique de Bärlin, se retrouver totalement décontenancé. Nous, nous sommes prévenus. Et quand il se pointe avec son 4e album, ce trio peu commun arrive en terrain conquis dans nos oreilles.
Nous savons pertinemment que la basse va rameuter les troupes, assumer son rôle de leader incontesté, que le chant habité va nous causer bien des tourments, que la clarinette n’en fera qu’à sa tête. Et trottera longtemps dans la nôtre. On le sait, et c’est même pour ça qu’on y revient. Et qu’on s’éclate. A l’image de cette pochette, Bärlin attise le mystère, convoque le fantasmagorique. Et dès « Deer Fight », Bärlin convainc. Bärlin nous en met parfois plein la gueule quand le combat de cerf est enclenché pour de bon ou quand, dans la foulée, armes affûtées, « Revenge » s’ouvre par les grognements bestiaux de Clément Barbier et s’appuie sur une basse des plus véhémentes. L’impressionnant morceau éponyme n’y va pas non plus par quatre chemins. L’urgence est de mise, l’hystérie n’est pas loin et ce sont bien des alarmes qu’on entend retentir au loin. Au milieu du tumulte.
Ce State of Fear dégage une puissance de feu que Bärlin s’était contenté de ne laisser entrevoir qu’avec parcimonie par le passé. Sans renier pour autant la subtilité, prégnante notamment sur « A Glowing Whale » qui se dévoile et se déploie lentement ou le temps d’une « Farewell Song » d’une suprême délicatesse, adoptant une gravité de circonstance au vu de son titre (heureusement mensonger). Voix doublées. Basse presque macabre, clarinette qui distille une mélancolie terrible. Pour un final foudroyant. Grande classe. C’eût été difficile à accepter, bien que cohérent, en guise d’adieu. C’eût été surtout navrant que Bärlin ne nous démontre pas l’étendue de son savoir-faire, que l’on sait conséquent.
Il ne s’en prive pas en clôturant l’album sur un « Sturm » pesant de huit minutes, entre grincements de violons et propos en allemand indicibles, qu’on aurait volontiers imaginé en bande-originale d’un film de vampires. Si l’ensemble ne prenait pas feu au moment de nous indiquer la sortie. Auparavant, il avait également rappelé que le post punk dérangé est aussi dans ses cordes le temps d’un « Body Memory », aussi minimaliste que malaisant, comme à la belle époque où le post punk n’était pas à la mode mais bien à l’attention de quelques allumés de première. Nul besoin d’être un allumé pour s’adonner aux joies de Bärlin, il suffit simplement d’être doté d’un soupçon de curiosité et d’une appétence pour la musique exigeante et décloisonnée. Ceux qui se reconnaissent dans cette description sauront apprécier la récompense à sa juste valeur.
Jonathan Lopez