Avee Mana – Inner Life EP
Nous attendions-nous à un évènement disruptif en provenance de la cité Phocéenne ? Pas vraiment. Autrefois, Marseille rayonnait de ses parangons rock (cf le bouquin de Robert Rossi, Histoire du Rock à Marseille) tels que Barricade, Special Service, Rescue Rangers ou Cowboys From Outerspace. Mais depuis, la ville semble s’être enlisée dans une tourbe où se sont échouées les gloires du passé. Les formations qui ont réussi à dépasser le cadre d’une popularité locale, se comptent sur les doigts des mains. Par extension, Marseille a toujours été une ville au potentiel éphémère. Pour exemple, en 2013, la ville fut consacrée Capitale de la Culture Européenne, aux motivations consuméristes, se sont opposées associations et salles de concerts underground, devenues depuis des lieux mythiques (L’Embobineuse, La Salle Gueule, Le Molotov…). Le quatuor marseillais Avee Mana a une vie antérieure, et s’il faut remonter dans les archives du groupe, dans son historique, le gang a partagé la scène avec Hoorsees, Thurston Moore ou encore Mars Red Sky. Inner Life lui confère une dissidence musicale, proche de celle de ACID DAD ou de Hooveriii, tant par leurs variations musicales que leurs écarts entre chaque composition. La palette est donc large et donne la primauté à un psychédélisme parfaitement maîtrisé. Si ce disque a une vocation aérienne, sa sortie me permet surtout de mentionner l’enthousiasme ressenti dès la première écoute, les six titres ont cette coloration non pas bigarrée mais éclatante. Au-delà d’un genre défini, quelque chose de spontané et de très personnel se dégage de « Spacefish » dont les étirements électriques prennent une ampleur indescriptible dans une portion intérieure injectant une étrange bulle d’espace dans le flux de L’EP. Avec ce digne successeur de Who The F… Is Francky Jones (2019), Avee Mana va bien plus loin, se libérant de toutes les contraintes, chaque titre mène à une cavité souterraine ou au sommet d’une montagne inatteignable. Le noyau mélodique de « Witchcraft » est d’une telle fluidité que le chant en devient même magique, envoûtant. Le quatuor parvient à capter l’éternité dans un laps de temps resserré. Dans ce couloir infini, une trappe souterraine s’ouvre sous vos pieds, le ciel se tord et tout s’inverse dans une étrange ébullition que « Bending Sky » vient couronner. C’est cet art subtil de l’équilibre, ce penchant à brouiller les cartes que Avee Mana est parvenu à concrétiser. Inner life est ce frisson textural, chaque titre devenant addictif, procurant l’impression d’écouter sa chanson préférée sous plusieurs déclinaisons.
Franck Irle