Abstract Concrete – Abstract Concrete
Abstract Concrete est le nouveau groupe de Charles Hayward, le batteur de This Heat. Une nouvelle occasion pour cette icône du post-punk expérimental britannique, de se rappeler à notre bon souvenir avec un premier album étrange et déroutant, qui nous ramène vers l’Angleterre des années 80 en réussissant l’exploit de ne pas verser dans la nostalgie facile, malgré les nombreux élans mélancoliques qui le composent, et va au contraire diffuser une énergie et une vitalité surprenantes compte tenu de l’âge de son auteur.
Entouré par une poignée de musiciens d’origines diverses : Agathe Max (Mésange, UKAEA) au violon, Otto Willberg (Yes Indeed, Historically Fucked) à la basse, Roberto Sassi (Snorkel, Cardosanto) à la guitare et Yoni Silver (Hyperion Ensemble, Steve Noble) au clavier, Charles Hayward se lance, à 73 ans, vers une musique riche en nuances, aux influences nombreuses. Le post-punk et la no-wave sont ici passés au tamis d’une ambition expérimentale débridée, navigant à vue entre néoclassicisme et post-rock.
L’intro au clavier de « Almost Touch » ouvre le disque et fait rapidement place au violon de Max qui lance à son tour la voix de Hayward. D’emblée, elle s’inscrit dans le sillon des voix tremblantes qui peuplent le spectre lo-fi expérimental et dans lequel règnent les fantômes bien vivants de Jad Fair et consorts. Le titre et son climax sont suffisamment accrocheurs pour éveiller la curiosité de celui qui écouterait l’album sans rien connaître du pedigree de son auteur. La grâce avec laquelle Abstract Concrete réussit à conjuguer les moments d’émotion avec d’autres, plus étranges, nous intrigue même par son côté too much, contrebalancé heureusement par le talent évident des musiciens qui la porte.
« This Echo », et son atmosphère de fête triste, voit Hayward se lancer dans une litanie plaintive qui surprend par la neutralité robotique que l’on perçoit, peut-être à tort, dans son interprétation. Au bout d’un moment, on se demande si la musique ne pêcherait pas par une certaine tiédeur et si on n’aurait pas préféré des prises de positions plus radicales. Est-ce le souvenir de l’aridité de This Heat qui vient troubler notre jugement ou est-ce un défaut de caractère, côté Abstract Concrete ?
Le sentiment d’entre-deux sera bien vite balayé par les vraies réussite du disque telles que « Ventriloquist/Dummy », par exemple, qui paradoxalement, se retrouve complètement dans ce schéma d’alternance chaud et froid, mais qui porte en elle une gravité et une énergie suffisamment puissante pour éviter l’écueil redouté. Le final s’avère même particulièrement touchant.
Plus généralement, l’album est traversé par un lyrisme brut, dont on ne sait quoi faire dans un premier temps mais vers lequel on revient inlassablement et qui finit par nous devenir précieux. Les quinze minutes de « The Day the Earth Stood Still » condense tout ce qu’Abstract Concrete a à offrir en la matière, entre musique de chambre déglinguée et psychédélisme teuton, un canevas morcelé se dévoile devant nous et finit par ressembler à une tableau flou, sûrement inachevé.
Impossible de savoir s’il y aura une suite à ce qui pourrait être le chant du cygne de Hayward. Le groupe entame une courte tournée qui éclairera peut-être cette question. Quoiqu’il en soit, cet album est résolument une surprise et confirme tout le bien que l’on pensait de son auteur et de sa façon de faire, loin des recyclages convenus de la musique de sa jeunesse.
Max
Abstract Concrete jouera à La Mécanique Ondulatoire (Paris) avec Rhys Chatham ce samedi 3 février